Qu'est-ce que l'iconologie ?

L'iconologie se distingue de l'histoire de l'art et de l'esthétique. Fondée par Erwin Panofsky, elle interprète le contenu et les conditions de production des oeuvres d'art.

Depuis les années 20, l'histoire de l'art a été fortement influencée par les travaux d'Erwin Panofsky 1. Ce professeur de l'université de Princeton a tenté d'élaborer une méthode d'analyse susceptible de mettre au jour la structure et le sens d'une oeuvre quels qu'en soient l'auteur, la période et le lieu de production. Il poursuivait en cela un projet traditionnel de la philosophie qui était de travailler sur la notion de « beau » et d'essayer d'en saisir la signification pour l'esprit humain. E. Panofsky s'inscrivait notamment dans la suite des travaux de deux de ses prédécesseurs, Heinrich Wölfflin et Aby Warburg. Mais son apport décisif tient à sa volonté de renouveler les catégories traditionnelles de la philosophie et de l'histoire dans l'analyse des oeuvres d'art en utilisant des critères empruntés aux méthodes scientifiques. « La théorie de l'art est à l'histoire de l'art ce que la poétique et la rhétorique sont à la littérature », écrit-il 2. Pour désigner sa démarche et en signifier l'originalité, il réactualise un terme déjà utilisé à la Renaissance : l'« iconologie ». D'un point de vue pratique, cette démarche repose sur une analyse de l'oeuvre hiérarchisée en trois niveaux.

L'art s'émancipe du religieux et de la métaphysique

Le premier niveau repose essentiellement sur les catégories du sens commun associées à une connaissance minimale du contexte de production de l'oeuvre. C'est ce qui fait, par exemple, qu'un spectateur, même peu averti, distingue immédiatement une peinture médiévale d'une oeuvre du xviie ou du xviiie siècle et peut les situer approximativement dans le temps, à la fois en raison des différences flagrantes liées à la maîtrise de la perspective, du traitement des ombres et des sujets traités, et de ses propres connaissances historiques de base.

Le deuxième niveau d'analyse que propose E. Panofsky est celui qui permet d'interpréter correctement les significations intentionnelles de l'oeuvre, symboliques, allégoriques ou historiques. Elle suppose une culture générale suffisante pour situer historiquement l'oeuvre et comprendre son contenu, notamment en la rapprochant d'oeuvres ou de textes contemporains. De ce point de vue, une connaissance des principaux mythes de l'Antiquité et une culture religieuse minimale sont indispensables pour appréhender la plupart des oeuvres produites depuis la Renaissance jusqu'au xixe siècle.

Le dernier niveau est celui qui, selon E. Panofsky, conduit à interpréter le contenu de l'oeuvre en comprenant l'intention artistique de son auteur, mais aussi en la dépassant pour en saisir la portée symbolique universelle. Il s'agit alors de resituer sa production par rapport à l'ensemble des productions intellectuelles du moment et de comprendre en quoi elle est représentative des principales significations symboliques et des représentations dominantes de son époque.

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Spécialiste de la Renaissance, E. Panofsky voit par exemple dans la production artistique de cette période la manifestation d'une rupture intellectuelle fondamentale. En effet, avec l'élaboration de la perspective, dont les principes de base sont mathématiques, l'artiste de la Renaissance se donne les moyens d'une reproduction fidèle de la réalité et se fait en quelque sorte homme de sciences. Autrement dit, l'art de cette époque s'inscrit dans une nouvelle vision du monde, qui se retrouve dans toutes les autres activités humaines de l'époque, et pour laquelle l'observation distanciée de la nature et des hommes par un sujet conscient de son autonomie devient possible. Pour le dire un peu schématiquement, l'art s'émancipe alors d'une vision exclusivement religieuse du monde et d'une conception métaphysique de la beauté pour chercher une harmonie dans l'observation raisonnée de la nature. E. Panofsky souligne également qu'en se donnant les moyens d'une représentation fidèle de la réalité, l'art est aussi devenu un instrument d'observation pour la connaissance scientifique, qu'il a contribué à faire évoluer. On peut rappeler à ce titre le rôle déterminant des planches de dessin pour une encyclopédie. L'art de la Renaissance est donc totalement inscrit dans une mutation de civilisation que chaque artiste interprète à sa manière et avec son propre génie, ce que l'iconologie contribue à révéler. Cette conception novatrice de l'histoire de l'art a ouvert le champ de l'analyse des oeuvres à des approches beaucoup plus diversifiées que celles que les discours antérieurs, académiques ou philosophiques, avaient jusque-là autorisées. Les contemporains et les successeurs de E. Panofsky vont désormais convoquer les sciences humaines pour construire des théories de l'art et élaborer des méthodes d'analyse : ethnologie, sociologie, psychanalyse ou sémiologie vont tour à tour ou simultanément offrir des instruments interprétatifs aux historiens d'art et aider à la revendication d'une autonomie de la discipline. On peut notamment citer, en France, le travail du sociologue Pierre Francastel 3.