Imaginons que l’on vous présente des sodas au cola, dont l’un s’appellerait par exemple Coca Light et l’autre Coca Zéro. Il est probable que vous privilégiez le second, car il présente un bénéfice clair et positif (zéro calorie) alors que l’autre ne fait que mentionner qu’il contient moins de calories. Mais moins que quoi ? Si la manipulation suggère spontanément le domaine du pathos et des affects, il ne faut pourtant pas oublier sa dimension cognitive.
C’est tout le mérite de Philippe Breton de montrer dans La parole manipulée 1 qu’à la manipulation des émotions peut également s’ajouter la manipulation du contenu cognitif du message lui-même. Ce type de manipulation ne relève pas tant des opinions émises que du contenant, ou plus exactement du « moule argumentatif » qui permet de donner forme aux idées avancées.
Le cadrage, arme fatale de la manipulation cognitive
On peut alors distinguer quatre grandes familles d’arguments comme le fait P. Breton 2. Tout d’abord les arguments qui consistent à mobiliser une autorité acceptée par l'auditoire et qui défend l'opinion qu'on propose ou qu'on critique ; ensuite, les arguments qui font appel à des présupposés communs, des croyances ou à des valeurs partagées par l'auditoire ; puis on trouve les arguments qui utilisent l’exemple, la métaphore ou l’analogie en les dotant d'une portée argumentative ; enfin les arguments de cadrage qui sont ceux qui nous intéressent ici pour comprendre ce que signifie la manipulation cognitive. Par cadrage, il faut entendre une façon de présenter le réel, ou du moins de l’ordonner d’une façon habile. Une stratégie de cadrage induit souvent une description qui insiste sur certains aspects en laissant volontairement les autres de côté. Il s’agit donc d’une lecture orientée de la réalité mais qui peut sembler pertinente dans la mesure où il n'y a pas d'objectivité possible dans le domaine concerné. C’est ce qu’illustre cet épisode de l’ouvrage de Mark Twain relaté par P. Breton dans lequel Tom Sawyer est puni et doit blanchir à la chaux une vaste clôture en bois. Ce qui lui importe est moins la tâche à accomplir que le regard de ses camarades. Aussi va-t-il s’efforcer de les convaincre qu'il s'agit non pas d'un travail à proprement parler mais d'une activité plaisante et valorisante qu'on n'a pas tous les jours l'occasion de faire. La désinformation est l’une des techniques de recadrage parmi les plus manipulatrices dans la mesure où l’on fait passer pour des informations véridiques des faits qui ne sont généralement que des inventions servant à masquer ou travestir la réalité. Ainsi, « contrairement à ce qu'on nous raconte, ce n'est pas le froid qui tue les sans-abri, c'est la misère (…), ce ne sont pas des systèmes d'alerte qui peuvent purifier l'air, ce sont des décrets » 3. Le cadrage est donc une terrible arme de guerre qui s’appuie sur la violence psychologique pour pousser l’adversaire à prendre de mauvaises décisions. Le recadrage abusif consiste, lui, à entraîner la conviction de l’auditoire en organisant les faits de manière à produire une nouvelle image de la réalité. C’est d’ailleurs le savoir-faire essentiel du marketing d’imprimer dans notre esprit de nouvelles formes de catégorisation qui rendent les marchandises plus désirables.