Quand les images fabriquent l'opinion

Pour manipuler les foules, au temps où les images étaient rares, il fallait les retoucher ou les détourner. À présent qu’elles sont surabondantes, mieux vaut sélectionner avec soin des images réelles pour mieux les propager.

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Si la légende du tableau de René Magritte Ceci n’est pas une pipe nous surprend, c’est bien parce qu’avant de voir le tableau, nous voyons la pipe qu’il nous montre. En d’autres termes, nous oublions l’artifice du processus pictural au profit du produit qu’il nous propose. Ainsi que le suggère l’historien de l’art Ernst Gombrich 1, l’image se donne comme un substitut évident de notre activité perceptive immédiate. Il en résulte qu’on lui accorde volontiers le statut de reflet du réel. Probablement plus encore depuis que les images sont produites à partir de dispositifs techniques quasi automatiques censés capturer ces reflets. En bref, pendant longtemps, l’image a pu nous apparaître comme une preuve. Ce statut se renforce à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lors de la libération des camps de la mort 2. C’est peut-être ce qui permet d’expliquer l’acharnement de certains à vouloir manipuler les images dans le but de faire coïncider un réel représenté avec un réel désiré.

Les manipulations de l’image sont aussi vieilles que la fabrication des images elles-mêmes. On en trouve trace dès l’Antiquité chez les artistes réalisant le portrait des puissants 3. Mais c’est certainement à partir de l’avènement de la photographie que la question de la vérité de l’image va se poser de la façon la plus aiguë. On ne compte plus les exemples de manipulations qui ont jalonné l’histoire à partir du milieu du 19e siècle, depuis la mise en scène photographique de son propre suicide par Hippolyte Bayard (pionnier de la photographie posant en noyé pour protester contre son manque de reconnaissance officielle, NDLR), jusqu’aux retouches des photographies de Staline, faisant disparaître des clichés l’image de personnages devenus indésirables, en passant par la célèbre photographie du prétendu monstre du loch Ness (R.K. Wilson, 1934).