Quels sont les chiffres de l'immmigration en France ?
L’Insee comptait 4,9 millions d’immigrés (identifiés) résidant sur le sol français pour l’année 2004, soit 8,1 % de la population française (1). Parmi ces immigrés, 40 % étaient de nationalité française, contre 60 % d’étrangers… Il ne faut pas être surpris par cette répartition : depuis quelques années, pour recenser les immigrés, le comptage des habitants en France n’ayant pas la nationalité française a été remplacé par celui des « personnes nées étrangères à l’étranger », ce qui inclut dans la catégorie « immigrés » les Français par acquisition, nés à l’étranger (voir le schéma ci-contre). Le démographe Hervé Le Bras conteste du coup ce chiffre de 4,9 millions (2), car celui-ci satisferait à une conception « populaire » de l’immigration : en grossissant artificiellement la catégorie « immigrés » de plus d’1 million de personnes, on augmenterait l’impression des Français que l’immigration est un problème.
« Il serait imprudent d’accorder trop de crédit aux chiffres » annuels de l’immigration en France, estime H. Le Bras. On sait d’abord qu’il y a un problème de fond : ces chiffres ne tiennent pas compte de l’entrée d’immigrants clandestins. Mais ceux-ci seraient finalement assez peu nombreux (il s’agit là d’une supposition, étayée par certains éléments, comme le faible nombre de candidats aux deux opérations de régularisation de sans-papiers, en 1981 et 1997). La difficulté serait que, même quand ils sont donnés par des organismes sérieux – OCDE, Insee, Ined… –, les chiffres varieraient du simple au double selon que l’on prend en compte les entrées de ressortissants européens (qui jouissent de la libre circulation dans l’espace Schengenu) et les entrées d’étudiants étrangers, considérés selon les cas « permanents » ou pas ! Les chiffres pour l’année 1983 s’échelonneraient ainsi de 130 000 à 215 000 (3). Autre difficulté : si l’on sait compter les entrées sur le territoire national, on ne sait évaluer qu’indirectement les sorties ! Bref, la notion d’« immigré » est franchement floue : le terme, facilement confondu avec celui d’« étranger », n’a pas la même définition dans le sens commun, dans les médias et chez les spécialistes !
Autre idée reçue : l’immigration serait une menace croissante, le nombre de candidats augmentant de manière exponentielle – les médias n’hésitent pas parfois à dresser le portrait de hordes de clandestins venant s’entasser aux frontières de l’Europe, sorte de terre promise pour les déshérités du monde… Là encore, il faut faire la part entre fantasme et réalité : le dernier rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (Genève, 2005) affirme que les flux migratoires ont diminué partout dans le monde ces trente dernières années, et notamment vers l’Europe (l’exception étant ceux en direction des États-Unis et de la fédération de Russie).
Dans le cas français, tout le monde semble s’entendre sur le fait que les chiffres de l’immigration stagnent depuis trente ans. Mais qui sont ces immigrés ? Le dernier recensement national (qui date de 1999) établit que les migrants d’Algérie arrivent en tête (13,4 %), suivis de ceux du Portugal (13,3 %), du Maroc (12,1 %), d’Italie (8,8 %) et d’Espagne (7,4 %). Dans les 45 % restants, on trouve des migrants venant d’Afrique subsaharienne, d’Europe de l’Est et d’Asie du Sud-Est.
Comment devient-on français ?
On distingue généralement le droit du sol du droit du sang. Le droit du sol autorise les enfants d’étrangers nés sur un territoire à en acquérir la nationalité. Au contraire, le droit du sang ne se transmet que par la filiation. La France est un pays qui fonctionne grosso modo, depuis la loi sur la nationalité de 1889, sur le droit du sol. Mais en réalité, c’est plus compliqué que cela : la naissance en France n’est pas suffisante pour obtenir la nationalité française. En effet, seul l’enfant né en France de parents dont l’un au moins est lui-même né en France deviendra automatiquement français à la naissance ! Les enfants nés en France de parents étrangers n’auront la nationalité française qu’à l’âge de 18 ans. Enfin, toute personne majeure qui réside sur le sol français depuis au moins cinq ans peut demander à acquérir la nationalité française par naturalisation.
Par ailleurs, le mariage avec un(e) Français(e) ne donne pas automatiquement accès à la nationalité française. Depuis la loi dite Sarkozy sur l’immigration (24 juillet 2006), il faut que le couple ait vécu maritalement pendant quatre ans avant que le (la) conjoint(e) acquière la nationalité française.
Faut-il ouvrir ou fermer les frontières ?
La plupart des pays européens ont en principe opté, depuis 1974, pour la fermeture des frontières. Mais pour Andrea Rea et Maryse Tripier, cette orientation « relève plus des discours politiques que de la réalité (4) ». En effet, il existe soit une habitude de travailleurs saisonniers (en Allemagne) ou « irréguliers dans le secteur informel », c’est-à-dire de travailleurs clandestins (en France, Italie, Espagne). En outre, on assiste de temps à autre à des campagnes de régularisation des sans-papiers. Tout cela montre que l’immigration continue. Selon ces deux auteurs, on pratique en Europe une politique d’immigration officieuse consistant à maintenir les migrants dans un statut de séjour irrégulier et très précaire. Par ailleurs, il existe des secteurs de l’économie, comme l’agriculture, la confection, la construction, où l’appel à une main-d’œuvre clandestine et flexible est important. Selon certains auteurs, l’inhospitalité affichée des États européens face aux immigrants serait congruente à la néolibéralisation du marché du travail – un marché où les travailleurs sont corvéables à merci (5).
Face à cette situation, que convient-il de faire ? Faut-il mettre en place un système « à points » comme au Canada, pays qui a créé ainsi une filière de recrutement des travailleurs qualifiés ? La sélection se fait dans ce cas par une sorte de concours où l’on accumule des points selon ses qualifications (un bac + 2 vaut 20 points, une expérience professionnelle d’un an vaut 15 points, etc.). Le problème est que les personnes sélectionnées n’obtiennent pas forcément, une fois entrées, l’emploi pour lequel elles ont postulé…
Faut-il alors mettre en œuvre une politique des quotas comme en Espagne ou en Italie, où les travailleurs immigrés sont recrutés selon les besoins économiques locaux, d’après une liste préétablie par secteur d’activité ? Problème : cette machine bureaucratique complexe n’empêche pas la présence de travailleurs immigrés « sans-papiers », qui cependant travaillent et ont un logement… La régularisation qui s’est imposée dans ces deux pays a donc court-circuité la politique des quotas.
Dans le cas de la France, la loi du 24 juillet 2006, dite loi Sarkozy, qui préconise l’immigration « choisie » (en instaurant une carte de séjour particulière pour les scientifiques, universitaires, sportifs de haut niveau ou cadres à « fort potentiel »), censée venir prévenir l’immigration « subie », pourrait très bien déboucher sur une politique de quotas. Elle se fonde en tout cas sur un rapport annuel qui établit des chiffres prévisionnels, planifiant l’arrivée de migrants dans les divers secteurs économiques ou dans le cadre d’études et du regroupement familial.
Le démographe François Héran propose quant à lui un tout autre système : il faudrait selon lui tout bonnement « rouvrir les frontières », en encourageant à la fois la migration de travail et les études universitaires des étrangers dans l’Hexagone. La raison invoquée par cet expert de l’Ined est que le vieillissement de la population (notamment pour la génération des baby-boomers) est une « bombe démographique » à retardement : il faudrait dès à présent penser à contrecarrer le grand nombre de décès à venir, pour que le solde naturel du pays reste positif (6).