Dans un banc de poissons, les individus situés à la marge sont davantage attaqués par les prédateurs 1. Éloignés de leurs congénères, peu coordonnés avec le reste du groupe, ils font des proies plus vulnérables. L’amitié semble suivre une logique comparable : chacun pressent qu’il sera mieux protégé au sein d’un groupe d’amis qu’en position de marginalité, même relative, tandis que la ressemblance, la synchronisation et le mimétisme avec le groupe d’amis autorisent un certain sentiment de sécurité. « Pourquoi s’en prendrait-on à moi en particulier, alors que je ne suis qu’un membre du groupe comme les autres ? » Et quitte à être semblable à ses amis, autant, dès l’amorce de la relation, les choisir proches de soi.
L’homophilie est la règle qui veut que les amitiés se forment plus facilement entre des individus possédant des goûts, des préférences, des opinions, des origines sociales ou géographiques similaires 2. Cette tendance est pourtant unanimement réfutée lorsqu’il est question d’expliquer comment nous avons choisi nos amis. La similitude, qui accroît la longévité de la relation, ne résulte pas d’un choix axiologique. Elle apparaît plutôt comme une facilité à se comprendre et à échanger sans heurts, à éviter conflits et dissonance cognitive. Être ami avec quelqu’un qui a des opinions discordantes avec les nôtres, ou qui déteste ce que nous aimons, n’est pas facile à soutenir dans la durée.
Non seulement nous choisissons nos amis semblables à nous, mais nous projetons sur eux des ressemblances imaginaires d’autant plus grandes que nous croyons que notre amitié est forte (présomption de similitude) 3. En aimant ceux qui doivent forcément nous ressembler, nous trouvons sans y penser une valorisation narcissique : si ceux qui nous ressemblent sont dignes d’être aimés, c’est probablement que nous-mêmes sommes dotés d’une valeur indéniable. L’attachement particulier aux amitiés d’enfance et de jeunesse pourrait aussi relever de cette logique. Elles sont des îlots émergeant au-dessus du continent de nos rêves engloutis par les vicissitudes de la vie. Elles sont les derniers témoins vivants de notre jeunesse, et sont à ce titre irremplaçables.