Lewis Henry Morgan

Rencontre avec les Iroquois

Chercheur engagé, Lewis Henry Morgan est un des pères fondateurs de l'anthropologie. Son œuvre, bien que négligée aujourd'hui, et ses contributions ? notamment sur l'étude des systèmes de parenté ? ont connu une belle postérité.

Lorsque paraît en 1851 La Ligue des Iroquois son auteur, Lewis Henry Morgan, est encore un inconnu. Nul ne peut alors présager que ce jeune avocat new-yorkais ? il a alors 33 ans ? sera plus tard consacré comme le « père fondateur » de l'anthropologie contemporaine.

Du droit à l'anthropologie

Mais qu'est-ce qui a poussé L.H. Morgan (1818-1881) à étudier de près les Indiens Iroquois et leur consacrer l'un des premiers grands livres d'anthropologie ? Une approche romantique de sa biographie nous révèle une belle histoire. A la fin de ses études de droit, encore à la recherche de travail, le jeune idéaliste adhère à une société secrète : « Le nœud gordien ». Cette société est à l'image des loges maçonniques : c'est une confrérie, comme il en fleurit beaucoup à l'époque, un club de réflexion philosophique tourné vers le progrès social et l'épanouissement personnel. On y cultive un idéal utopique, fondé sur le retour à un âge d'or : celui de l'Antiquité grecque ou romaine. L.H. Morgan, lui, a découvert, les cultures indiennes : leurs rites, leur philosophie, leur organisation politique. Il réussit à faire partager sa passion aux membres de son club. A son initiative, on décide alors de rebaptiser la société secrète « Le grand ordre des Iroquois ». On se donne des noms d'Indiens (L.H. Morgan porte le nom de Skenandoah), on porte des coiffures et armes indiennes et les rites d'initiation sont copiés sur ceux des Indiens.

La curiosité romantique de L.H. Morgan se mue bientôt en vocation scientifique. Le mode de vie indien le passionne : il lit, prend des notes, assiste à des conférences, en organise même. C'est ainsi qu'il propose à Henry Schoolcraft, alors spécialiste reconnu des Indiens d'Amérique (il est même marié à une Indienne Ojibwa), de tenir une conférence pour les membres de son club. H. Schoolcraft accepte et encourage L.H. Morgan à étudier de visu ces peuples qu'il sait menacés de disparition. Connaître de près les Indiens, pénétrer dans leur intimité, quitter l'univers des livres pour observer leur mode de vie : c'est justement le rêve de L.H. Morgan.

L'occasion va lui en être donnée par une rencontre fortuite. Dans une bibliothèque d'Albany (Etat de New York), il fait la connaissance de Ely Parker. Le jeune homme, de dix ans son cadet, fait partie de la tribu des Senecas. Il étudie le droit pour défendre sa tribu devant les tribunaux lors des litiges sur la propriété des terres. Les deux hommes se lient d'amitié. Grâce à E. Parker, L.H. Morgan va pouvoir entrer au contact des Senecas, l'une des cinq nations de la Ligue des Iroquois et s'associe à leur combat. Ses premières batailles juridiques, il les livrera au nom des Senecas, en lutte contre une compagnie qui les a dépossédés de leurs réserves de chasse. Ayant obtenu gain de cause, les Senecas admettront L.H. Morgan parmi les leurs. Ils le baptiseront Ta-ya-da-o-wh-kuh (ce qui signifie quelque chose comme « celui qui vit entre les deux »).

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C'est donc au contact direct des Indiens que L.H. Morgan va pouvoir se livrer à son travail ethnologique et publier, quelques années plus tard, son livre La Ligue des Iroquois.

Voilà pour la petite histoire, héroïque, de la fondation d'une science. Sans être fausse, cette histoire mérite cependant d'être resituée dans un contexte plus large. Si L.H. Morgan est considéré comme l'un des pionniers de l'anthropologie, il faut se méfier de l'idée de « père fondateur ». Il n'est pas un héros solitaire. L'anthropologie, comme toute discipline, au moins dans sa phase pionnière, doit son apparition à des événements personnels et des circonstances locales. Mais il faut aussi en relativiser la portée.