Rencontre avec Yves Michaud. L'être humain n'est pas un animal tendre

Y a-t-il un sens à parler de la violence en général ? Ne peut-on pas faire que des études de phénomènes particuliers de la violence ?

Dès qu'on rassemble tous les phénomènes de violence sous un même chapitre, on risque d'aboutir à un discours assez indifférencié. Aujourd'hui, on aurait tendance, à l'inverse, à atomiser le problème : on étudie la violence à l'école, le terrorisme, la violence internationale, les conduites à risques. Mais, en compartimentant, on ne prend pas en compte la réalité profondément agressive de l'être humain. Or, la violence doit aussi être appréhendée d'un point de vue anthropologique général reconnaissant non seulement les beaux aspects de l'homme mais aussi ses tendances destructrices. Les approches spécialisées se focalisent sur certains phénomènes et les voient sans proportion. L'étude généraliste de la violence permet de relativiser les choses. Par exemple, en 2000 en France, on avait tendance à se concentrer sur la violence intérieure et l'insécurité, mais la violence internationale la plus traditionnelle était beaucoup plus importante.

La perception de la violence change et dans le temps et dans l'histoire...

Les sociétés s'intéressent d'abord à leurs problèmes. Il y a des pays où la violence économique, les inégalités ou l'insécurité alimentaire de l'existence sont beaucoup plus importantes que la violence physique. Chaque société a son angle d'attaque et se concentre à tort ou à raison sur certaines formes de violence. Quand on regarde l'histoire française, on s'aperçoit que ce qu'on a considéré comme violent a beaucoup changé au cours des trente ou quarante dernières années. Dans les années 70, la violence, c'est la criminalité et la violence politique, dans les années 80, c'est le grand banditisme de Jacques Mesrine et Jean-Charles Willoquet, ensuite dans les années 90, c'est l'insécurité, surtout dans les banlieues ; aujourd'hui on parle beaucoup de la violence à l'école. Cette importance de la sensibilité à la violence montre aussi les limites des comparaisons. Il y a des situations de violence qui semblent presque normales pour les gens en Irak ou en Afghanistan alors que pour nous elles seraient intolérables. On ne peut donc pas vraiment comparer. En même temps, la violence reste quand même quelque chose qui se compte, qui se mesure. Si donc on laisse de côté l'élément de sensibilité, on peut établir des comparaisons et faire le constat que nous, Européens, vivons aujourd'hui dans des mondes extrêmement tranquilles alors qu'en Afrique ou en Amérique du Sud les conditions d'existence sont beaucoup plus violentes.