S'isoler pour collaborer

Le travail en entreprise se résume trop 
souvent soit à la collaboration soit au labeur effectué en commun. Or, pour en tirer 
tout le bénéfice, il faut aussi laisser de la place au travail personnel.

Notre société se caractérise par la concurrence à laquelle se livrent les différentes sphères de notre activité pour une denrée rare : le temps. Ce mouvement, si l’on suit le raisonnement qu’a proposé Hartmut Rosa 1, résulterait en réalité d’une triple accélération : de la technique, des changements sociaux et des rythmes de vie. En contexte professionnel, l’accélération perçue au quotidien ressort à mon sens majoritairement de cette dernière catégorie. Il s’agit pour les acteurs d’accroître le nombre de leurs actions ou expériences par unité de temps, via trois types de stratégies : en cherchant à augmenter leur vitesse d’action (fast-food, microsieste…), en s’efforçant de synchroniser les séquences d’action pour éviter les temps morts, et en accroissant le nombre d’activités simultanées (multitasking).

S’il veut survivre à cette lame de fond, l’individu est contraint à de petites résistances personnelles (par exemple, refuser une promotion pour préserver sa vie privée), mais il est généralement impossible aux hamsters que nous sommes de décélérer sans tomber de la roue, c’est-à-dire sans être éjectés du système. À moins que des solutions collectives ne se mettent en place…

H. Rosa travaille actuellement sur une société où le progrès technique n’amènerait pas la pénurie de temps. Au contraire, des solutions de décélération plus locales et pragmatiques, conçues et adaptées par chaque employeur, constitueraient une piste de moyen terme incontestablement moins utopique. Dans cette perspective, il s’agirait d’articuler la réflexion simultanément sur l’espace et temps de travail.

L’accélération se traduit, entre autres, par une perméabilité croissante des sphères privée et professionnelle, souvent au détriment de la vie privée, que le travail peut assez naturellement envahir. En temps de rationalisation des moyens, la réactivité y gagne – plus que les finances de l’employeur, puisque les cadres sont généralement payés au forfait jour. La contrainte est souvent si parfaitement intériorisée qu’elle n’a même plus besoin d’être formulée : « Il faut bien achever ce que l’on n’a pas eu le temps de faire en journée. » Curieusement toutefois, les cadres ne plébiscitent pas une stricte séparation des sphères : ils cherchent au contraire à contrôler les instants consacrés au travail et ceux dédiés à leur vie privée, en organisant de leur plein gré le passage d’une sphère à l’autre. La nomadisation des technologies de l’information est, comme cela a déjà été dit mille fois, pour beaucoup dans ce phénomène.