Salafisme : les raisons d'un succès. Entretien avec Samir Amghar.

Prônant une rupture totale avec la société environnante, le salafisme  "cheikhiste", apolitique et non violent, s’inscrit durablement dans la société française, et notamment dans les quartiers populaires. Le sociologue Samir Amghar décrypte les facteurs de son attractivité.

Comment expliquer l’implantation du salafisme cheikhiste en Europe ?

L’expansion de cette doctrine a principalement été le fruit du prosélytisme d’anciens étudiants européens des universités islamiques saoudiennes, notamment celle de Médine, et des centres de formations au Yémen, en Syrie ou en Jordanie. En France, aux Pays-Bas, en Belgique et en Grande-Bretagne, le salafisme s’est implanté grâce à la prédication des premiers diplômés européens revenus d’Arabie Saoudite où ils étaient allés suivre une formation en sciences religieuses. Sous l’impulsion d’étudiants français, des savants religieux saoudiens, égyptiens ou jordaniens d’obédience salafiste se sont également rendus sur le Vieux Continent. Ils ont donné de nombreuses conférences en France (mais aussi en Belgique, au Royaume-Uni, aux États-Unis). Des mosquées furent créées ou conquises, et il fut même question de créer un pôle salafiste européen en France. Dans l’Hexagone même, il y avait près de 30 centres cultuels salafistes et de nombreuses manifestations étaient organisées jusqu’en 2001. À partir de 1998, un grand congrès salafiste eut lieu chaque année dans la banlieue parisienne à l’initiative d’un quadragénaire de nationalité néerlandaise, Yacoub Leenen, qui vit aujourd’hui en Arabie Saoudite où il dirige une maison d’édition traduisant des livres de l’arabe au français. Les ouvrages des théologiens salafis sont de plus en plus présents dans les librairies islamiques, ils deviennent des références pour beaucoup de musulmans, même pour ceux qui appartiennent aux autres tendances de l’islam (Frères musulmans, tablighis…). Le salafisme s’impose de plus en plus comme une orthodoxie religieuse. Cette prédication est tellement efficace que le mouvement a vu ses effectifs doubler en cinq ans, passant de 5 000 en 2004 à plus de 12 000 aujourd’hui.