Les enquêtes quantitatives sur la sexualité apportent des informations indispensables : sur l'âge moyen du premier rapport, sur le nombre de partenaires ou sur l'utilisation d'un préservatif lors de la dernière relation ou au cours des douze derniers mois. Toutes ces données sont nécessaires pour concevoir une prévention adaptée au contexte du sida. Mais elles ne permettent pas, à l'évidence, de saisir le vécu des personnes, leur vie sexuelle quotidienne, leurs représentations, leurs motivations, et surtout la diversité des attitudes et des comportements qui prévaut en ce domaine.
Concernant la sexualité des femmes, une étude qualitative comme celle que j'ai conduite pendant deux ans présente l'avantage de saisir tout le déroulement d'une vie amoureuse et sexuelle, de l'enfance au jour de l'entretien.
« Oh ! La menteuse, elle est amoureuse »
Et quand une personne se sent écoutée, sans être jamais jugée, qu'elle peut commencer par parler de son enfance et de la découverte de la « chose », elle peut faire sur ce qu'elle a de plus intime, de plus personnel, des révélations tout à fait étonnantes et dont j'ai eu souvent la primeur. Souvent, ce sont le rire et les larmes qui ont été le plus au rendez-vous, la tendresse et parfois une sorte de résignation.
Sur la vie sexuelle des femmes, cette enquête permet justement d'approcher l'extrême diversité des parcours. Cette diversité concerne aussi bien les débuts, les rencontres et ruptures, ou encore les pratiques et la protection contre les risques sexuels.
Les enquêtes quantitatives n'ont pas pris en compte jusqu'ici les informations concernant l'enfance. Or, les récits des filles diffèrent de ceux des garçons. Les émois sont précoces mais plus fréquemment liés à des sentiments, qui peuvent d'ailleurs, à l'école primaire, être vite, sinon stigmatisés, du moins portés au vu et au su de tout le monde par le classique « oh ! la menteuse, elle est amoureuse ».
Chez les garçons, les premiers contacts avec la chose sont plus souvent directement sexuels (ils essaient de baisser la culotte des filles, l'un d'eux met son sexe dans l'aspirateur en espérant en obtenir les sensations recherchées). Mais des filles ont également des souvenirs de contacts charnels assez chauds, pas forcément avec des petits copains mais avec des garçons de la famille. Karima, 39 ans, directrice artistique de presse, se souvient d'avoir eu vers 8 ou 9 ans « des sensations de chaleur dans le bas-ventre » en jouant au docteur avec son petit frère : « On s'enfermait dans la piaule, on se mettait tout nus et puis on se frottait. »
Sur le premier rapport, l'enquête ACSF (Analyse des comportements sexuels en France 1) indique que, chez les femmes, la moyenne pour les 18-34 ans est de 18,1 ou 18,2 ans, alors qu'il est de 21,3 ans pour les 55-69 ans. Dans mon enquête, on peut entrevoir la diversité qui se cache sous ces moyennes statistiques, puisque la plus précoce a perdu sa virginité à 12 ans avec un ami de son père âgé de 49 ans et qu'elle avait fortement provoqué. La moins précoce, qui a, dit-elle, « des problèmes relationnels » et une forte surcharge pondérale, a connu son premier homme à l'âge de 33 ans dans une camionnette. Elle dit aujourd'hui : « J'aurais jamais cru que j'y arriverais, mais ça m'est quand même arrivé. J'avais pas trop envie mais il fallait y passer. Il était allongé sur le dos, moi je me suis mise dessus. Et alors mon psy me dit : "Pour une première fois, c'était pas mal parce que c'est vous qui preniez l'initiative." »
J'ai pu aussi recueillir des témoignages de jeunes filles d'origine maghrébine, pour lesquelles il est impératif d'être vierges au mariage. Nombre d'entre elles expliquent que ce n'est pas seulement pour répondre aux exigences de leurs parents, pour lesquels l'honneur de la famille repose sur une sexualité très encadrée des femmes, mais pour elles-mêmes qu'elles refusent le coït vaginal. Ce qui ne signifie pas qu'elles n'ont pas d'autres activités sexuelles, puisque certaines disent clairement pratiquer « tout » avec leur petit copain, sauf la pénétration.