Certains héritages s’imposent à nous, celui de notre biologie au premier chef. « Nous sommes des Homo sapiens parce que nous en avons reçu l’ADN », rappelle Évelyne Heyer, professeure d'anthropologie génétique au Muséum national d'histoire naturelle. Les humains ont en effet un génome 1 identique à 99,9 %, les 0,1 % restant étant responsable de la couleur de cheveux, de peau, mais aussi des différences invisibles, dans notre système immunitaire ou notre cerveau. Fruits de l’évolution et de métissages, cet ADN est aussi le témoignage de notre histoire.
Il y a environ 70 000 ans, lorsque Sapiens sort d’Afrique et gagne l’Europe, il rencontre son lointain cousin Néandertal, arrivé environ 400 000 ans plus tôt. « Les deux espèces se métissent très rapidement », précise Lluis Quintana-Murci, généticien des populations à l’institut Pasteur. Quelques millénaires plus tard, en explorant l’Asie du Sud-Est, notre ancêtre rencontre une deuxième espèce humaine à laquelle il se mélange, Homo denisovans. À chaque fois, il acquiert un ensemble d’adaptations qui l’aidera à survivre : « Sapiens est un primate tropical, quand il sort d’Afrique, il rencontre un nouvel environnement et de nouveaux pathogènes, explique É. Heyer. Néandertal et Denisova sont des espèces sorties plus anciennement d’Afrique, qui ont eu le temps de s’adapter. Ces métissages aident Sapiens à survivre. »
Aujourd’hui encore, cet ADN hérité d’autres espèces humaines influence notre immunité, notre capacité à cicatriser ou notre métabolisme par exemple. « C’est grâce au métissage avec Néandertal que les Européens ont acquis des mutations pour mieux répondre aux infections virales, explique L. Quintana-Murci. Environ 40 % des Européens possèdent des mutations d’origine néandertalienne dans trois gènes cruciaux pour la reconnaissance de microbes. » Dans un autre registre, lorsqu’on étudie le génome de personnes vivant au Tibet, on découvre qu’ils doivent leur capacité à capter l’oxygène raréfié par l’altitude à Denisova, qui vivait dans des environnements similaires jusqu’à sa disparition il y a environ 30 000 ans. Les populations du Sud de l’Océanie lui doivent certaines réponses immunitaires.
Les mélanges génétiques racontent notre histoire
Bien après l'extinction d'autres espèces humaines, Sapiens a poursuivi sa migration, le plus souvent de proche en proche, mais aussi sous pression de facteurs sociaux et culturels. Selon L. Quintana-Murci, « les mélanges génétiques racontent notre histoire : celle des métissages voulus mais aussi forcés : la traite des esclaves explique par exemple la composante africaine des Américains, la colonisation leur composante européenne. »