Sortir de la croissance, viser le bien-être Entretien avec Éloi Laurent

Selon l’économiste, la pandémie de covid-19 marque l’urgence de sortir de notre obsession de la croissance au profit des objectifs de bien-être et de pleine santé.

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Près de deux ans après le début de la pandémie de covid19, l’économie mondiale renoue avec la croissance. En France, elle devrait dépasser 6 % en 2021, permettant au PIB de retrouver son niveau d’avant-crise. Mais où cela nous mène-t-il à plus long terme ? L'économiste français Éloi Laurent mène depuis plusieurs livres une analyse critique de notre obsession de la croissance et de son impact sur la soutenabilité de notre environnement. Le dernier en date, Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance (Les Liens qui libèrent, 2020) plaide pour une société de la « pleine santé » plutôt que de la forte croissance.

Que vous inspire l’évocation fréquente du retour du PIB français au niveau d’avant la pandémie ?

Un diagnostic fondé sur cet indicateur fait l’impasse sur trois crises majeures. D’abord, la France a été fracassée par l’impact sanitaire du covid : 115 000 morts, des millions d’infections, des centaines de milliers de cas de « covid long » et une prévalence accrue de syndromes dépressifs légers ou profonds. La deuxième crise est éducative : des enfants ont été privés de l’apprentissage du langage sur les lèvres et des millions d’élèves et d’étudiants ont vécu des pertes de chance qui auront un impact sur leur trajectoire socioéconomique à long terme. La troisième est environnementale : la crise du covid marque l’entrée dans un âge de chocs qui vont se succéder, que ce soit sous forme pandémique ou climatique. Autrement dit, vu l’impact de la croissance économique sur ces chocs écologiques, le retour du PIB à l’équilibre amplifie le déséquilibre de la biosphère. Le PIB forme un paravent qui nous empêche de comprendre les enjeux du 21e siècle, à commencer par les inégalités sociales et les crises écologiques.

Vous avez employé l’expression « croissance zombie » à propos des années précédant la pandémie. Assiste-t-on au même phénomène ?

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C’est une croissance « zombie » au sens où ce système est mort mais donne le sentiment de résurrection permanente, d’un idéal dont il faut faire le deuil. L’idée qu’on peut faire tourner nos systèmes économiques avec la croissance, le profit et le revenu comme seules boussoles est une folie. Il faut comprendre que l’économie est encastrée dans un système de coopération sociale, qui s’insère lui-même dans la biosphère. La question est de savoir si on choisira de le faire au cours des dix prochaines années. Nous avons perdu beaucoup de temps durant les trente dernières, au cours desquelles a été émise environ la moitié des gaz à effet de serre alors même que les premières alertes climatiques commençaient à être documentées.