Voici déjà quelques dizaines d’années, la mise en place par l’État français du fichier numérique Edvige centralisant de nombreuses données personnelles à usage policier souleva de virulentes protestations. Deux affiches avaient alors retenu mon attention. Sur la première, on pouvait voir : « En lisant cette affiche, tu cours le risque d’être fiché ! » La seconde disait : « On gueule contre EDVIGE, mais on est tous sur Facebook ! » Et tel est bien le paradoxe qui accompagne l’extraordinaire succès de la communication mobile, des réseaux sociaux et de manière générale de tous les usages du numérique. On n’a jamais autant fait l’apologie de l’autonomie procurée par ces technologies et, dans le même temps, multiplié les alertes contre la traçabilité de nos déplacements, de nos navigations et du contenu même de nos communications.
Technologies indiscrètes
Certains, comme le sociologue Zygmunt Bauman, affirment crûment que « nous faisons volontairement beaucoup de choses que les pouvoirs totalitaires cherchaient à imposer par la force et la violence ou la peur 1. » Le philosophe Giorgio Agamben considère, quant à lui, que les dispositifs technologiques dominants, comme le téléphone portable, sont en train de produire une perte d’individuation dans la mesure où ils contribuent à façonner en profondeur les comportements des individus. Quiconque se laisse prendre dans un dispositif comme un téléphone portable acquiert « un numéro au moyen duquel il pourra éventuellement, être contrôlé ». Pour autant, rien ne semble devoir freiner l’usage de cet instrument si pratique. Enfin, comme l’a souligné Armand Mattelart, « une sorte d’accoutumance s’est créée qui a élargi les seuils de tolérance et a fait que beaucoup consentent, sans même parfois s’en apercevoir, des abandons importants de leur sphère privée et de leurs droits fondamentaux 2 ».Pourquoi tolérons-nous si facilement d’être surveillés ?