Une stratégie qui, certes, ne date pas d’hier. Lorsqu’en 1938, Chester Barnard – ce Machiavel du bureau paysager – invitait les producteurs à traiter leurs clients comme des « employés partiels », il anticipait un peu sur un mouvement d’idées qui atteint aujourd’hui son plein développement. Après avoir théorisé l’organisation rationnelle du travail des salariés – appelons cela le taylorisme –, le discours managérial se tournerait aujourd’hui vers la mise en forme du métier de consommateur, en appelant à sa participation active, faisant de lui un partenaire, ou comme l’écrivent certains, un « prosumer » (producteur-consommateur), ou encore un « consom’acteur ». Voilà pour la doctrine.
Mais venons-en aux faits. Ceux que M.-A. Dujarier a patiemment rassemblés dans ce livre sont pour beaucoup dans l’effet de surprise de cet essai décapant. Saviez-vous en effet que lorsque, suivant les instructions d’un automate téléphonique, vous appuyez sur la touche « étoile » de votre clavier, puis sur le deux, le trois pour obtenir un relevé de votre compte, vous faisiez de l’« autoproduction dirigée » ? Par cette formule, l’auteure vise les techniques de vente de bien et de service permettant d’externaliser des tâches vers le consommateur : en gros, c’est le « self » au lieu du « service à la personne ». Et les exemples évidemment ne manquent pas : guichets électroniques, automates de vente, automates de service, self-scanning, hotlines en tous genres, le consommateur du xxie siècle, lorsqu’il s’en sert, remplace une prestation autrefois fournie par le producteur. Qu’il paie en temps, en compétences acquises, ou en espèces sonnantes : il y est de sa personne pour, en quelque sorte, « finir » le produit. Dans le vocabulaire de l’auteure, il « travaille pour consommer ». Faire la queue au supermarché : c’est du temps perdu, et ce temps, c’est de l’argent que le commerçant gagne en organisant au plus juste le service des caisses. La méthode n’est pas si neuve que cela, mais sa généralisation est largement attribuable aux technologies électroniques, dont l’adoption s’accompagne de force promesses : plus accessible, plus commode, plus rapide. En réalité, selon M.-A. Dujarier, le gain n’est pas évident, car le produit est rarement moins cher, et surtout, il n’est plus le même car rien ne remplace vraiment le service à la personne.