Trois idées reçues sur Internet

— Idée reçue n°1 : Les internautes forcenés n’ont pas de relations sociales

Hacker sur le retour, Jay habite la ville de San José, en Californie. La quarantaine venue, il parle de son passé de programmeur avec les accents d’un ex-sportif de haut niveau : « Quand j’avais du code à écrire j’y allais à fond. Mais, d’un certain point de vue, ce n’était qu’un prétexte. Ce que je kiffais vraiment, c’était tout le récit héroïque qui allait avec : “Regarde, mec, j’ai fait 36 heures sans arrêt… Regarde j’ai perdu 2 kg”, et alors un autre copain disait qu’il avait fait mieux, qu’il avait fait 48 heures, qu’il n’avait pas pris une douche deux semaines durant. » Si l’on devait esquisser un portrait de l’internaute d’après les paroles de Jay, ce serait celui d’un compulsif qui n’existe que par et pour son ordinateur, un accro tassé derrière son écran, des jours d’affilée.

Il est évident que tous les internautes sont loin de se définir ainsi. Toutefois, la figure du geek solitaire et socialement maladroit imprègne notre imaginaire. Nous en oublions que ce stéréotype a été introduit il y a plus de trente ans, soit bien avant l’arrivée du Web, et renvoyait alors simplement à la figure de l’informaticien. C’est dans un ouvrage de 1976, Computer Power and Human Reason, que Joseph Weizenbaum dressa le portrait de ce « forcené de l’ordinateur », à la mise « négligée » et à l’hygiène « approximative ». Aujourd’hui encore, l’emmuré, le no-life qui pallie une solitude douloureuse en multipliant les contacts en ligne est un grand favori des romanciers populaires, des commentateurs et des analystes culturels en quête de raccourcis.

Mais pour peu que l’on mette à distance cette idée reçue, une image bien différente se dessine. Avec presque 2 milliards d’internautes connectés en réseau aujourd’hui, la structure démographique des populations en ligne reproduit de manière grandissante les régularités d’âge, de sexe et de niveau socioculturel du monde hors-ligne. Les usages informatiques ont cessé d’être l’apanage d’adolescents boutonneux ou d’introvertis névrosés.

Reste à connaître l’impact des technologies numériques sur la vie personnelle des usagers. Bien plus qu’à un bouleversement, la « révolution » du numérique ressemble à un glissement progressif des pratiques et des rythmes de vie. Une enquête menée sur plus de 4 millions d’étudiants universitaires en 2007 a montré que la grande majorité des centaines de millions de messages échangés pendant une année sur Facebook se concentrent pendant les cours ou les soirs en semaine. Pour les salariés de grandes entreprises, c’est plutôt entre 9 et 17 heures des jours travaillés. Bref, les interactions informatiques se concentrent dans les moments de plus intense socialisation des usagers. Elles épousent le rythme des rencontres en face à face. Elles ne se concentrent pas dans les heures de la nuit et n’empêchent pas les sorties entre amis. Significativement, le nombre de messages baisse pendant les week-ends des étudiants et devient virtuellement nul pour les employés.