« Faire entendre d’autres voix de et sur la Chine que celle des hommes politiques et des médias » : telle est l’ambition de cet ouvrage collectif, sous la direction de la sinologue et professeure au Collège de France Anne Cheng. Fins connaisseurs et intellectuels chinois s’y retrouvent pour analyser les différentes façons dont les habitants et dirigeants de l’empire du Milieu perçoivent leur propre destin et leur place dans le monde, y compris d’un point de vue critique.
Ainsi Ge Zhaoguang, intellectuel vivant à Shanghai, remet en cause l’utopie du tianxia (« tout sous le ciel »). La notion, empruntée au passé impérial, promeut un idéal de relations internationales harmonieuses placées sous l’égide d’une Chine-monde. Mais l’étude des textes anciens dont prétend s’inspirer cette idée montre qu’ils décrivaient une réalité autrement violente et fondée sur la subordination féodale. Comme l’explique John Makeham, ce type de discours hégémonique s’inscrit dans une tendance de fond consistant, pour Pékin, à faire pièce aux valeurs occidentales en leur opposant des valeurs dites chinoises. Par exemple, en affirmant la priorité du groupe sur l’individu ou celle de l’harmonie sur le conflit. Ce nouveau récit national promu par le Parti communiste se heurte à d’autres contradicteurs, comme Qin Hui, ancien professeur d’histoire à Pékin, qui remet en cause dans ses travaux le modèle économique chinois, la grille de lecture marxiste de son histoire et les survivances de son passé impérial.