Jean-François Huchet
Professeur des universités à l’Inalco, auteur de La Crise environnementale en Chine, Presses de Sciences Po, 2016.
Dans La Crise environnementale en Chine, vous décrivez un véritable cauchemar, dont on déduit que ce pays fait face à un désastre écologique. Pouvez-vous en résumer les grands traits ?
En Chine, la crise environnementale affecte aujourd’hui en profondeur toutes les ressources écologiques : l’air, l’eau, les terres, la désertification et la gestion des déchets. L’air, par exemple, est pollué par les émissions de CO₂, liées à la consommation massive de charbon ou les pluies acides… Et ce constat vaut pour tous les domaines : l’eau, les déchets ou l’érosion des sols. Partout, les clignotants sont au rouge. L’environnement est fortement dégradé. Bien sûr, à des degrés divers, avec des évolutions différenciées. Les politiques publiques ont commencé depuis longtemps à s’attaquer au problème de la désertification. Mais il a fallu attendre 2013 pour qu’elles prennent des mesures contre la pollution de l’air. Reste que la Chine subit une crise écologique majeure, dont l’intensité est inégalée dans le monde.
Quelles en sont les causes ?
Elles sont d’ordre démographique et économique. Les comparaisons internationales doivent prendre en compte la démographie. Les émissions de CO₂ par tête changent de signification quand vous multipliez par 1,4 milliard de personnes : cela correspond à un total de 4 milliards de tonnes de charbon brûlé chaque année en Chine, soit plus de la moitié de la consommation mondiale ! De même, l’urbanisation a une empreinte écologique unique sur la planète, de par ses dimensions sur un territoire limité.
Ce sont des données structurelles, incontournables, qui ne vont pas changer dans le siècle à venir. La population chinoise, bien que sa démographie soit ralentie, va rester entre un milliard et un milliard et demi de personnes. Son empreinte écologique, résultant de ses modes de vie, de ses choix alimentaires, de son chauffage, de ses besoins en énergie, restera colossale. Même en imaginant des politiques publiques extrêmement vertueuses, la crise environnementale en Chine est susceptible de fragiliser ce pays, et d’affecter le reste du monde.
Ne peut-on aussi discerner des raisons politiques ?
Effectivement. Le mode d’industrialisation, l’influence du modèle soviétique ont longtemps poussé à ignorer les impacts environnementaux. Mao avait imposé que chaque région de la Chine soit autonome en termes de production, afin que chaque partie du pays puisse résister à une invasion si celle-ci la coupait des provinces voisines. Résultat : les infrastructures chinoises sont traditionnellement en concurrence et en surproduction permanentes. Et cette décentralisation a persisté depuis 1978 (ndlr : accession au pouvoir de Deng Xiaoping, qui introduira progressivement la Chine à l’économie de marché). On retrouve dans tous les secteurs cette tendance à la surproduction, au surinvestissement, à la multiplication des entreprises. On a plus de cimentiers en Chine que dans le reste du monde, même si leur nombre se réduit ces dernières années. Entre 2011 et 2013, la Chine a produit plus de béton que les États-Unis au cours de tout le 20e siècle. Près des deux tiers du ciment mondial est utilisé en Chine. Les surcapacités sont de l’ordre, pour 2014, de 850 millions de tonnes sur 3 100 millions de tonnes produites.