Sciences Humaines : Vous avez introduit l'idée d'économie d'archipel. De quoi s'agit-il ?
Pierre Veltz : Cette idée découle d'un constat en forme de paradoxe : la croissance mondiale est de plus en plus concentrée autour de très grands pôles, de régions urbaines qui constituent l'environnement des nouvelles formes de production et d'échange. Ces pôles ne sont pas seulement concurrents. Ils sont les points nodaux où s'entrecroisent des réseaux économiques et sociaux transversaux, dont les multinationales, les diasporas (asiatiques notamment) et les milieux scientifiques constituent les trames principales. C'est cette forme, à la fois dispersée et intégrée, qui enjambe les découpages nationaux, que j'appelle l'« économie d'archipel ». Bien entendu, ces pôles puissants concentrent aussi la pauvreté : car leur développement s'accompagne souvent de la déstructuration des périphéries, et les migrants qui s'agglutinent dans les villes y trouvent, malgré tout, davantage d'opportunités que dans les campagnes ou les villes moyennes. Ce phénomène est dominant dans l'explosion urbaine des pays les plus pauvres. La dynamique de Tokyo et celle de Lagos sont évidemment très différentes.