Rencontre avec Stéphane Robert, directrice de recherche au CNRS, responsable du groupe de recherche « Diversité et évolution des langues : enjeux cognitifs ».
Sciences Humaines : En quoi la linguistique que vous pratiquez se différencie-t-elle d'autres approches du langage, qui elles aussi tentent d'établir des liens avec les sciences cognitives ?
Stéphane Robert : L'objet de mon travail se situe effectivement à l'articulation de la linguistique et des sciences cognitives. Son objectif ultime est de définir les mécanismes du langage et de les relier aux autres facultés cognitives, mais l'approche se fait à partir de la diversité des langues et des textes. Mes collègues et moi nous différencions nettement du courant générativiste, qui cherche à ramener la diversité des langues à un ensemble de règles de syntaxe universelles et relègue la question du sens dans le lexique. Nous posons au contraire que la variation dans le langage est centrale. Le sens se construit de manière variable d'une langue à l'autre, ou à l'intérieur d'une langue.
En effet, la signification du langage est un problème très complexe. D'abord parce que les unités de sens ne sont pas des concepts : les signifiés des mots ont une structure, une épaisseur, sur lesquelles il existe plusieurs théories : stéréotypes, prototypes, réseaux, etc. Ensuite, parce que le sens d'une séquence n'est pas l'addition du sens de ses parties : un « bel idiot » n'est pas un individu qui est beau et de surcroît idiot. Il y a aussi dans la parole humaine des phénomènes non linéaires. Un détail minime comme l'intonation peut changer le sens de toute la phrase « tu veux ma photo ? » ne signifie pas du tout la même chose que « tu veux ma photo ! ». De plus, le sens d'une phrase va souvent au-delà de la description du monde : « Jean est admirable de travailler autant » n'est pas seulement une affirmation, mais un jugement de l'énonciateur sur la personne. Bref, on touche là au fait que tout sujet parlant joue un rôle fondamental dans la construction du sens.