Vers un État régulateur ?

Contrairement à une idée reçue, ni la décentralisation ni la construction européenne n'entraînent le déclin de l'action publique mais elles la transforment en encourageant des politiques contractuelles et multiniveaux.

La conduite des politiques publiques a connu en France d'importantes innovations depuis les années 70. En particulier ont été développées de nouvelles politiques dites « partenariales » mais aussi « multiniveaux ».

Sous le nom de politiques de partenariat, on désigne en général des formes d'action menées conjointement par des acteurs de la puissance publique (Etat, Régions, etc.) et des opérateurs économiques ou associatifs. C'est ce qu'on résume souvent en une formule lapidaire : le partenariat public-privé. Ces formes de collaboration ou de coproduction se sont notamment manifestées dans les politiques d'aide au développement économique et aux systèmes productifs locaux.

Les premières expérimentations ont été menées dans les années 80, notamment pour la conversion de régions de vieille industrie dans le nord et le centre de la France. Elles ont été rapidement généralisées au nom de la défense de l'emploi et de la lutte contre la crise. Mais les coopérations avec les acteurs privés ont également porté sur les politiques de protection des ressources naturelles ou sur la requalification des espaces urbains. Il s'agissait par exemple de négocier et définir conjointement des normes environnementales (comme dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux) ou encore des programmes de transports collectifs. Généralement, ces démarches ont adopté des modalités de négociation ponctuelle, sur site et par contrats locaux, qui contrastaient avec les négociations centrales « néocorporatistes » des politiques partenariales classiques.

Des coopérations multiniveaux

Quant aux politiques dites « multiniveaux », elles correspondent à des formes intenses de coopération (volontaires ou obligées) entre les pouvoirs politiques eux-mêmes, qui sont aujourd'hui redistribués à différentes échelles territoriales. Les pouvoirs territoriaux ne répondent plus, en effet, à des hiérarchies simples et à des tutelles nationales, comme avant la décentralisation. Du local à l'Europe, les effets des transferts de compétences et de la dynamique de subsidiarité se font sentir. De multiples niveaux d'initiatives, urbains, régionaux, étatiques ou intergouvernementaux, cherchent à coopérer mais aussi à se concurrencer 1. On peut voir les conséquences de ces négociations multiniveaux à travers, par exemple, les modalités des contrats de plan État-Régions (c'est-à-dire de la planification des grands équipements collectifs, codéfinie en France entre l'Etat et les Régions, mais où chacun conserve à son niveau un projet spécifique et des priorités à défendre). On en mesure aussi les implications dans les politiques sociales urbaines, où s'ajustent les zonages prioritaires affichés par l'Etat et les initiatives des pouvoirs locaux. Ainsi en va-t-il par exemple des zones franches urbaines (ZFU).

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Toutes ces démarches se sont multipliées depuis quelques décennies dans un contexte nouveau. L'intensification des initiatives croisées et des coopérations mêlées de concurrences se situe en effet au croisement de trois mouvements de fond : un processus de décentralisation-régionalisation, qui valorise les territoires locaux et les initiatives de proximité ; une intégration politique communautaire, accentuée à partir des années 90, qui a induit en profondeur une « européanisation » des politiques publiques nationales ou locales ; enfin, un processus de « mondialisation économique », qui est fondé sur la libéralisation de tous les échanges, l'ouverture à la concurrence et la réhabilitation de l'entreprise.

Ces récents modes de faire partenariaux et multiniveaux privilégient aussi de nouvelles modalités de définition et de suivi des politiques publiques. Procédures de discussion et de négociation explicites, contrats d'action publique, évaluations sont en effet devenus particulièrement prisés. L'entrecroisement des compétences et des projets donne l'impression que les initiatives sont dorénavant « multipolaires » (en ce sens qu'elles émanent de centres de décision diversifiés) et les pouvoirs redistribués. Sans doute l'Etat en France apparaît-il décentré, c'est-à-dire qu'il a perdu de sa centralité, encore essentielle jusqu'à la fin des trente glorieuses. Pour autant, est-il devenu marginal ?