Vers un hôpital plus efficace ?

Une enquête dans des services d’urgence montre que, 
si tous les soignants ne sont pas hostiles aux réformes, celles-ci contredisent globalement la logique de soin qui est la leur.


Si les hôpitaux français ont fait l’objet de nombreuses réformes au cours du xxe siècle, la période récente est marquée par une intensification de leur rythme : loi hospitalière de 1991, ordonnances « Juppé » de 1996, plan « hôpital 2007 » (2002) puis « hôpital 2012 » (2007), loi « hôpital, patients, santé et territoires » dite loi Bachelot (2009)… Fortement guidées par l’objectif de maîtriser les coûts sans cesse croissants de la santé, ces réformes ont notamment instauré de nouveaux modes de gestion et d’organisation des établissements médicaux (encadré p. 45). Leurs promoteurs y voient un moyen d’introduire de la rationalité dans un système de santé jugé jusque-là opaque (on connaît désormais précisément l’activité réelle des professionnels de santé). Mais que cela change-t-il concrètement pour les soignants ? Pour analyser les effets sociaux des réformes de l’hôpital, le sociologue Nicolas Belorgey a mené une enquête auprès d’une agence publique d’audit et de conseil, l’AAES (encadré ci-dessous) et des consultants privés qui interviennent pour son compte. Il a également enfilé la blouse blanche pour suivre au plus près le travail des soignants de services d’urgence aux prises avec les réformes. Son livre, L’Hôpital sous pression (La Découverte, 2010), permet de mieux comprendre comment ces réformes se transforment en de nouvelles manières d’agir, de penser et de sentir diversement adoptées ou freinées.

L’un des grands « chantiers » de l’AAES est la réduction du temps d’attente des patients aux urgences, question particulièrement sensible dans l’opinion et chez les professionnels de santé. N. Belorgey rappelle que les urgences, placées à la porte des hôpitaux, subissent une demande de plus en plus forte, en raison notamment de la difficulté croissante à accéder à la médecine de ville et d’une précarisation croissante de la population.

 

Un problème de moyens ? Non, d’organisation !

Dans ce cadre, le travail des consultants travaillant pour l’AAES consiste largement à convertir les problèmes de moyens invoqués par les soignants (manque de personnel, locaux inadaptés…) en problème d’organisation. À un urgentiste qui estime que « des locaux plus grands, ça serait une petite bouffée d’oxygène », Gaël, consultant, rétorque par exemple que « plus on s’étale, plus ça complique la gestion. C’est pareil en physique, si vous faites passer de la flotte dans des tuyaux, quand elle arrive dans un plus petit, elle accélère… » D’autres vantent les mérites de l’instauration d’un « circuit court » qui consiste à traiter en priorité et rapidement les patients atteints de pathologies légères afin de désengorger le service. Un médecin « coordinateur de flux » orienterait dès leur arrivée les malades soit vers ce circuit court, soit vers un circuit long réservé aux cas les plus graves. Damien, consultant, prend l’exemple de trois patients en attente d’examens radiologiques : « Le coordinateur de flux va faire passer en premier le troisième inscrit sur la liste car, a priori, il n’a rien de grave. Ça va permettre de le faire sortir plus vite, alors que les autres (…) attendent un spécialiste qui ne va pas passer tout de suite, donc, de toute façon, ça ne va rien changer pour eux. »

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La mise en évidence du fait que les « performances » du service peuvent être améliorées passe aussi par le recours au benchmarking, c’est-à-dire à la comparaison, sur un certain temps (deux ans en moyenne), entre plusieurs services, généralement sur la base d’un ou plusieurs indicateurs de productivité : taux d’occupation pour les blocs opératoires ou, pour les services d’urgence, temps de passage moyen des patients. L’objectif affiché est d’améliorer la qualité des soins par la création d’une émulation entre services. Il s’agit de « décloisonner » le monde hospitalier, de « mobiliser » et « faire bouger » les soignants pour qu’ils s’améliorent, en évitant soigneusement toute stigmatisation (« ce n’est pas un classement »).