Vers une « industrie de la connaissance » ?

Le développement des moyens techniques et la forte demande du public font de l'enseignement à distance une véritable industrie. Mais la définition de « l'industrie de la connaissance » remet tout simplement en cause les conceptions de l'enseignement en général...

Les modÈles actuels de la formation « en présence » (par contact direct de l'enseignant et de l'enseigné) ou « à distance » ont de plus en plus de difficultés à répondre à l'attente d'un nombre croissant de personnes. Trois facteurs accélèrent cette évolution. D'abord, l'exigence du public, particulièrement manifeste dans la formation à distance, qui veut des formations sur mesure à des connaissances souvent très pointues et tenues à jour, car il en a besoin en urgence pour une requalification ou une réinsertion. Ensuite, la prolifération des pôles de compétences qui offrent directement - notamment sur Internet - le savoir qui s'y élabore. De plus en plus de laboratoires mettent ainsi en ligne leurs rapports de recherche, et des universités offrent des formations sur les réseaux. Enfin, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication joue en lui-même un rôle moteur.

Les nouvelles technologies de l'information brouillent le jeu et autorisent, bien au-delà du champ de la formation à distance, des liaisons multiples et imprévisibles entre des activités qui étaient encore distinctes il y a une dizaine d'années : par exemple, la consultation de bases de données documentaires, l'apprentissage à distance et l'édition électronique... Aussi est-il nécessaire de réfléchir sur des modèles plus larges qui admettent ces interactions. Celui d'industrie de la connaissance, traduction du terme américain « knowledge industry », retient actuellement l'attention et mérite que l'on s'y arrête.

Ce terme, qui paraît provocateur en Europe, désigne déjà en Amérique du Nord un ensemble relativement indistinct d'activités d'ingénierie de la connaissance, de recherche automatique d'informations, d'enseignement assisté par ordinateur et de publications électroniques. La question est de savoir si une nouvelle réalité n'est pas en train de se construire sous nos yeux.

Il y a dix ans, l'enseignement assisté par ordinateur, la documentation automatique, la publication assistée par ordinateur, la gestion électronique de documents, le télétraitement, les télécommunications... toutes ces techniques et leurs aires d'usage se distinguaient nettement. Ce n'est plus le cas aujourd'hui avec la multiplicité des dispositifs englobant toutes les techniques et autorisant leur agencement dans les combinaisons les plus diverses.

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La diversité croissante des dispositifs suggère, au passage, quelques remarques. D'une part, ils ne concernent pas seulement les étudiants à distance stricto sensu, mais plus généralement tous les gens qui apprennent. C'est explicite dans le cas de Nettuno, en Italie (plusieurs universités se mettent en réseau et louent un canal satellite), et plus ou moins implicite dans d'autres. Mais il y a tout lieu de penser que, dans un avenir proche, toute personne qui apprend sera au moins en partie un étudiant à distance.

D'autre part, toutes les instances de formation, universités, centres de formation continue mais aussi écoles, collèges et lycées, auront à construire et à gérer une interface entre ce qui s'enseigne intra-muros et ce qui s'apprend au dehors par le truchement des télécommunications. Les conséquences de cette mutation sont encore difficilement envisageables. On peut toutefois en formuler deux. La première est que les formateurs devront trouver un rapport de complémentarité et non de conflit avec les savoirs qu'ils dispenseront et ceux que les étudiants se construiront à l'extérieur. Ce n'est pas un problème simple à résoudre... La seconde conséquence est que l'ensemble des instances de formation sera probablement concerné, à plus ou moins grande échelle, par l'industrie de la connaissance. Il apparaît, sous cet éclairage, que les choix technologiques en matière d'informatique et de télécommunication seront déterminants pour que ces instances puissent conserver une marge de manoeuvre. De ce point de vue, le choix de ces universités italiennes de louer un canal digital satellite permet une économie d'échelle difficile à réaliser avec d'autres technologies. Il est en effet bien moins coûteux de mettre des humains en ligne -experts, étudiants, professeurs- que de mettre à jour des bases informatisées de cours ou des CD-Rom. Aussi l'alliance avec un partenaire industriel et l'orientation homme-homme ou homme-machine des dispositifs qu'elle produit deviennent-elles aujourd'hui des questions cruciales.