L’envie est répréhensible dans toutes les sociétés, pourtant elle est encouragée en tant qu’élément moteur de notre motivation. C’est ce paradoxe qu’interroge Vincent de Gaulejac, figure de proue de la sociologie clinique. Il étudie les relations entre processus psychiques et sociaux à travers les récits de vie. Dans son article « L’envie, un sentiment social » (1), il montre qu’elle ne saurait disparaître. L’envie, au cœur des rapports humains et de la construction psychique des individus, demande avant tout à être canalisée.
Alors que partout l’envie est stigmatisée, ne peut-elle pas aussi être un sentiment positif qui encourage à dépasser ses limites ?
Pour les Anglo-Saxons, le terme envy est assez positif : il désigne l’émulation qui met en mouvement. Si l’on veut comprendre la victoire du capitalisme sur le communisme, il faut saisir que le capitalisme libéral anglo-saxon tel qu’on le connaît aux États-Unis a réglé le problème de l’envie en la transformant en émulation, en envie de réussir, en ambition. Il repose sur l’idée inspirée par le protestantisme que ceux qui veulent réussir le peuvent s’ils s’en donnent les moyens. Dans ce contexte, celui qui est pauvre ne devrait pas envier celui qui est riche. L’envie pourrait donc être positive, se transformer en un désir de réussite qui mette en mouvement des individus du côté d’Éros plutôt que de Thanatos.
(1) Vincent de Gaulejac, « L’envie, un sentiment social », , vol. LXI, n° 1, 1997.(2) Hsien Chin Hu, « The Chinese concepts of “face” », , vol. XLVI, 1944, cité par Helmut Schoeck, , 1995, rééd. Les Belles Lettres, 2006.