2008\. L'aube des religions globalisées

En se faisant élire « intellectuel le plus célèbre du monde », 
le soufi Fethullah Gülen montre que les religions surfent 
sur la mondialisation. Bienvenue dans un monde d’émotions et d’individus, où les médias de masse font la foi…

En juin 2008, le journal britannique Foreign Policy publie le résultat d’une enquête faite par Internet pour désigner les 100 intellectuels les plus célèbres dans le monde. À la surprise des organisateurs eux-mêmes, le vainqueur, avec 1 million de votes, est Fethullah Gülen, chef charismatique d’une confrérie soufie turque. Le journal, qui ignorait tout de cette personnalité, s’étonna qu’un « inconnu » précède Al Gore et Mario Vargas Llosa. Le pot aux roses fut vite découvert : les membres de la confrérie avaient, sur instruction, voté massivement pour leur leader. Cela veut dire qu’une confrérie soufie turque est capable de mobiliser 1 million de disciples sachant surfer sur le Net, comprenant l’anglais et ayant un accès Internet. On est loin des derviches tourneurs.

Le phénomène Gülen illustre le succès des néoconfréries soufies, des confréries ayant une origine traditionnelle, mais qui adoptent de nouvelles formes d’organisation et de prédication, en phase avec l’individualisation et la globalisation des sociétés modernes.

 

Sentiments, mystique, écoles et télévision

Car la confrérie des Fethullacis (nommée ainsi d’après le prénom de son fondateur, Fethullah) s’enracine bien dans la tradition soufie ancienne. F. Gülen, né en 1941, avait d’abord adhéré à la confrérie des Nurcu, elle-même inscrite dans la tradition de la vieille confrérie Naqshbandi.

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Mais très vite F. Gülen développe son propre style : personnage charismatique, il met en scène ses émotions dans des prêches sentimentaux et passionnés, et touche un vaste public grâce à son usage des médias. Il adapte et transforme la structure traditionnelle des confréries soufies, où le maître initiait ses disciples à travers une hiérarchie de représentants. Lui s’adresse directement à la foule de ses disciples, utilisant la télévision, la vidéo et les cassettes, puis plus tard Internet. Il ne se préoccupe guère de théologie ou de normes, mais insiste sur les sentiments, l’amour, la compassion et met en avant le dialogue entre religions dans le partage de l’expérience mystique.