Qu’est-ce que l’archéologie ? Ou, autrement dit, à quoi sert l’archéologie ? En 2006, trois expositions se disputaient à Paris les faveurs du public féru d’archéologie : « Trésors engloutis d’Égypte » au Grand Palais, « Les trésors retrouvés d’Afghanistan » au musée Guimet, et enfin « L’or des Thraces » au musée Jacquemart-André. Trois expositions spectaculaires, issues toutes les trois des aventures romantiques de divers chercheurs de trésors, et toutes les trois entourées d’une forte connotation politique puisque deux chefs d’État et un ministre de la Culture étrangers s’étaient déplacés pour la circonstance. L’archéologie n’est-elle donc toujours que ce rêve d’enfant, celui de Heinrich Schliemann qui rêvait, en écoutant les récits de son père, de retrouver la Troie homérique depuis longtemps disparue – H. Schliemann dont Sigmund Freud disait qu’il avait su, en découvrant le « trésor de Priam », trouver le bonheur, « tant il est vrai que la réalisation d’un désir infantile est seule capable d’engendrer le bonheur » ?
Pourtant, si le désir d’archéologie passe certainement par là chez les futurs archéologues, la pratique de leur métier réel, une fois adultes, n’a, heureusement ou malheureusement, que fort peu de chose à voir. Cette pratique, sur le terrain, est faite de laborieuses négociations avec les aménageurs susceptibles de détruire un site archéologique, de fouilles minutieuses et souvent ingrates par tous les temps, de longues analyses en laboratoire et de dépouillements de listings, d’austères rapports documentaires, de publications fort savantes… Peu de sciences humaines ont un rapport aussi déséquilibré entre le temps d’accumulation de l’information et celui du traitement et de la synthèse. D’une certaine façon, vingt années de fouilles systématiques sur un site équivalent un peu, pour l’historien, à prendre simplement un registre d’archives sur un rayonnage. C’est après que commence l’interprétation.
D’une science auxiliaire à une science autonome
Rien de cela, pourtant, ne disqualifie l’archéologie. Il n’y a jamais eu autant d’archéologues en France, et leur nombre continue chaque année de croître (1). C’est que, dans tous les cas, l’archéologie remplit au moins trois fonctions : préserver le patrimoine, produire de la connaissance scientifique, et la diffuser auprès du public – y compris au risque de certains détournements. En outre, si l’on veut vraiment connaître les sociétés du passé, voire celles du passé le plus proche, il n’y a d’autres voies que celle de l’archéologie.
Depuis son émergence à la Renaissance, le xxe siècle a vu la constitution progressive de l’archéologie en une science autonome. Tant que l’on ne s’intéressait qu’aux sociétés à écriture, gréco-romaines et orientales avant tout, l’archéologie était cantonnée au rôle ancillaire d’une « science auxiliaire de l’histoire ». À partir du moment où ils se sont intéressés à des sociétés sans écriture, pré- ou protohistoriques, les archéologues ont dû mettre au point des approches radicalement nouvelles, fondées sur des fouilles beaucoup plus minutieuses, des analyses physico-chimiques des matières premières et des techniques de fabrication, des recherches sur l’environnement ancien, des méthodes de datation variées, des techniques statistiques – et qui ne cessent de gagner en précision : qu’on songe par exemple aux nouvelles possibilités ouvertes par la recherche de l’ADN ancien, aussi bien sur les animaux et les plantes que sur les restes humains.