Depuis plus d’un quart de siècle, Amartya Sen, économiste et philosophe d’origine indienne, veut Repenser l’inégalité (Seuil, 2000). Pour mettre fin à la pauvreté, il faut, selon A. Sen, un développement qui reconnaisse les capacités (capabilities) des individus, définies comme la liberté d’utiliser leurs biens matériels et immatériels afin de choisir leur mode de vie. Par exemple, les individus disposent d’un droit potentiel de vote, mais pour que ce droit soit effectif, et que les citoyens aient la capacité de voter, ils doivent disposer de modes de fonctionnement adéquats : accès à l’éducation pour comprendre les enjeux, modes de transport pour accéder au bureau de vote… (1)
C’est au milieu des années 1970 qu’il s’intéresse aux famines et notamment à celle du Bengale des années 1942-1943, qui avait coûté la vie à 3,5 millions de personnes (2). Il constate que la famine a eu lieu alors que la région disposait de ressources globales suffisantes pour nourrir toute la population. Il généralise dès 1980 l’ensemble de ces études par l’examen des conceptions d’égalité ce qui le conduit à formuler la notion de capability (capacité ou capabilité) qui deviendra le pivot analytique de ses écrits. En 1985, il publie Commodities and Capabilities, où il expose l’ensemble de sa construction théorique.
Tout individu dispose d’un certain nombre de dotations initiales qui peuvent être utilisées ou échangées en lui permettant d’accéder à des disponibilités alternatives. Ces dotations sont définies de manière relative selon les conditions et opportunités sociales et individuelles. Mais il faut distinguer ce qu’un individu réalise effectivement, à partir d’une combinaison de ce qu’il nomme les fonctionnements (se nourrir, aller à bicyclette, etc.), de l’ensemble des opportunités que ses capabilités lui permettraient de réaliser. Ainsi, une famille peut-elle décider de faire des sacrifices pour marier l’un de ses enfants afin de conforter l’image d’un rang social et espérer des retours de la part des membres de ce nouvel espace social, mais ce faisant elle s’endette et se trouve incapable de mobiliser suffisamment de nouvelles ressources pour les autres enfants comme l’accès à la scolarisation élémentaire, la prise en charge d’une maladie ou encore un voyage vers la ville afin de se procurer des ressources supplémentaires. La capabilité à choisir entre ces divers fonctionnements et à les combiner de manière différente explique la nécessité de prendre en compte aussi bien la conversion de relations sociales que celle des conditions situationnelles (nombre et genre des enfants, localisation géographique) ou encore de la nature des ressources disponibles (force de travail humaine, bétail, terres, métier artisanal, etc.).