Animal. Singe savant et vache folle

Alex a eu 25 ans en l'an 2000. Il vit et travaille à l'université de Tucson, en Arizona. Alex est un étudiant d'un genre particulier. Ce n'est pas un humain, mais un perroquet ; un perroquet gris (Psittacus erithatus) . Les perroquets gris vivent, généralement, dans la forêt d'Afrique équatoriale. Mais Alex, lui, travaille dans un laboratoire de recherche avec la psychologue Irene Pepperberg, qui étudie les capacités cognitives des oiseaux.

On sait que les perroquets imitent la voix humaine. Mais peuvent-ils vraiment parler, c'est-à-dire utiliser des mots choisis pour répondre à des questions précises, sans que la réponse ne soit apprise par coeur ? Qu'on en juge. Voici un type de dialogue mené entre Irene (le chercheur) et Alex (le perroquet) 1.

Irene Pepperberg présente à Alex un plateau sur lequel est posée une dizaine d'objets de formes (cubes ou boules) et couleurs (rouges ou bleus) différentes.

Irene : Alex, voici ton plateau. Tu peux me dire combien il y a d'objets bleus ?

Alex : Objet.

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Irene : C'est ça, objet... Combien d'objets bleus ?

Alex : Quatre.

Irene : C'est ça, tu veux cet objet ?

Alex : Veux une noix.

Irene : D'accord, voilà une noix (Alex mange sa noix)

Irene : Maintenant, tu peux me dire combien il y a de pelotes de laine verte ?

Alex : Siss.

Irene : Six, c'est bien !

Alex ne se contente donc pas d'imiter la voix humaine. Il parle vraiment. Alex a appris ainsi à reconnaître et à nommer 50 types d'objets différents : pierres, noix, clés, cubes, papier, etc., lorsqu'on les lui présente. Mais Alex sait aussi classer les objets selon leur forme, leur couleur, leur nombre. Ainsi, si on lui présente un plateau où sont déposés des cubes et des boules de différentes couleurs et qu'on lui demande combien il y a de cubes, Alex va les compter et donner la réponse : 2, 3, ou 5 (il peut compter jusqu'à 6). Alex donne en moyenne 80 % de réponses exactes. Si on place trois cubes verts et deux bleus sur le plateau, Alex est capable de répondre correctement à la question « combien y a-t-il de cubes bleus? ». C'est-à-dire qu'il catégorise (il classe les objets selon des catégories de formes, de couleurs).

Lorsque, chaque soir, Irène quitte son laboratoire, elle le salue. Alex lui répond : « Bonsoir, je vais dîner. A demain. »

Le cas Alex est troublant. Car ce petit perroquet remet en cause bien des idées reçues sur les capacités intellectuelles des animaux. Le perroquet ne se contente pas de parler avec des formules stéréotypées : il doit comprendre la question, observer, compter, puis formuler la bonne réponse. Bien sûr, Alex se trompe quelquefois ; il a aussi du mal à se concentrer longtemps. Et parfois, il interrompt la tâche pour demander une noix. Mais n'est-ce pas là la preuve qu'il n'est pas qu'une machine à répéter inlassablement la même formule, comme le sont généralement les perroquets ?

Depuis les années 80, de nombreuses recherches sur l'apprentissage, l'intelligence, la conscience, les intentions, le langage et la culture animale ont bouleversé nos conceptions sur les frontières qui séparent l'homme des autres animaux 2.

La première remise en cause concerne l'aptitude à apprendre. Depuis un siècle, la psychologie a amplement démontré les aptitudes des animaux à l'apprentissage. Des chiens de Pavlov aux pigeons de Skinner (le père du béhaviorisme), en passant par les rats et les singes, ce sont d'ailleurs les animaux qui ont été les principaux sujets pour étudier les mécanismes de l'apprentissage. Mais curieusement, la philosophie n'avait tiré aucune leçon de ce constat. Le distinguo animal/humain continuait à reposer sur l'idée que les comportements animaux seraient guidés par les instincts, tandis que les comportements humains seraient acquis. Or, l'éthologie a amplement montré que l'apprentissage fait partie des conduites nécessaires à l'animal dans le milieu naturel. Durant toute leur enfance, le lion apprend à chasser, le singe apprend à se nourrir de certaines plantes et à en éviter d'autres. Le loup doit apprendre les règles sociales au contact de ses congénères. La difficulté à réintroduire des animaux élevés en captivité dans leur milieu naturel montre que nombre de conduites animales ne sont pas instinctives. Elevés ensemble, chiens et chats deviennent les meilleurs amis du monde. Le léopard peut devenir un gros chat pacifique. Les oies cendrées élevées par Konrad Lorenz se sont plus attachées à leur maître qu'à leurs congénères.