Aux origines de la guerre

Jean Guilaine et Jean Zammit, Seuil, 2001, 372 p., 148 F.
Entre paléolithique et néolithique s'est construite l'image moderne du guerrier, du héros, du chef. La violence, déjà présente dans les communautés de chasseurs-collecteurs, s'est transformée en un combat meurtrier pour la conquête du prestige, des honneurs, du pouvoir.

Sur la rive droite du Nil, au Soudan, il y a 12 000 à 14 000 ans, des hommes, des femmes et des enfants ont été massacrés. Au pied du djebel Sahaba, 59 individus gisent orientés vers le sud, couchés sur le côté gauche, mains repliées vers la tête. Ils ont probablement été disposés par les survivants. Une trentaine ont été visiblement éliminés à l'aide d'armes : nombre d'entre eux, les pointes de flèches fichées dans l'os, d'autres ont été décapités ou démembrés.

Que s'est-il passé là, à une époque où les scientifiques croyaient naguère que la violence n'était que fort peu présente, et sûrement pas sous forme d'un massacre. L'interprétation archéologique de Jean Guilaine et Jean Zammit apporte des hypothèses. Ces derniers soulignent en premier lieu que « les heurts observés au djebel Sahaba pouvaient avoir pour cause l'appropriation des terres jouxtant le Nil, c'est-à-dire un espace potentiellement fourni en ressources: poissons, gibiers d'eau, mammifères fréquentant un écosystème proche du fleuve. » C'était là un phénomène très fréquent que les traces archéologiques mettent au jour aussi bien en Méditerranée, qu'en Espagne du Sud ou en Europe médiane. Partout, semble-t-il, les communautés humaines se sont affrontées violemment pour les zones giboyeuses de gués ou de bords de rivières. Une telle constatation met à mal, soulignent les auteurs, la vision d'une société primitive d'abondance, où errent des bandes d'humains qui n'ont que peu de raisons de s'affronter. Mais il est vrai, insistent-ils prudemment, que ces violences du paléolithique, notamment celle de son extrême fin européenne (de -15 000 à -5 000), sont difficiles à interpréter en raison de la faiblesse des sources.

Pourquoi cette violence ? S'agit-il de la continuation, à des degrés supérieurs, d'une violence déjà présente antérieurement, et liée à la nature de l'Homo sapiens ? Est-elle plutôt liée aux nouvelles formes de production agricole en train d'émerger ? Correspond-elle à une organisation politique particulière ? Comment et par quels mécanismes cette violence guerrière s'est-elle développée dans l'ensemble des sociétés, particulièrement les sociétés néolithiques de l'Europe ? Sociétés parmi lesquelles, rappelons-le, se trouvent les ancêtres des Grecs, des Celtes et autres Latins, qui ne firent pas peu pour la genèse de notre monde. Telles sont là les ques- tions essentielles auxquelles répond le livre de J. Guilaine et J. Zammit.