À lire nombre de spécialistes des neurosciences, on constate que leurs analyses accordent généralement peu de place à la connotation sociologique. Tout se passe souvent comme si l’objet de leur étude était le sujet vu isolément, recevant ou même subissant son environnement, réagissant ou agissant vers lui, mais sans réelle prise en compte de l’inscription parmi les pairs. Cette relative négligence est surprenante, car nombreuses sont les situations d’interaction qui impliquent nécessairement des fonctions cérébrales souvent complexes.
Un régulateur de vie sociale
Il suffit d’observer les actions et réactions entre animaux, bien sûr beaucoup moins diversifiées que chez l’homme, mais qui frappent souvent par leur organisation. Que ce soit entre partenaires « égaux » ou entre dominant et dominé, il s’agit de mouvements coordonnés, dotés d’un but, guidés par toute une série d’informations sensorielles (vision, tact, audition, olfaction). Et qui convainquent de la complexité du rôle de la machine nerveuse, bien plus sans doute que l’analyse de mouvements artificiellement suscités chez l’animal isolé en laboratoire. Ces interactions supposent donc que les acteurs possèdent les organes appropriés tant pour percevoir la signification des messages émis par l’autre, que pour en adresser qui soient compris.
L’un des points essentiels dans de tels échanges est qu’ils associent - selon des modalités aussi variées que possible, et un invraisemblable mélange souvent - des réactions du domaine du corps (somatique), et d’autres de la sphère végétative exprimant les émotions.
Parmi les signaux somatiques, on retient la mimique, les signes faciaux, de tête et les postures, éventuellement sonores, qui pourront, surtout chez les carnivores et les primates, accompagner les comportements d’attaque, de défense ou d’approche. Inutile d’ajouter que dans nos relations humaines, les mimiques isolées, les communications verbales, ou les deux, dominent avec la plus inimaginable variété. Dans ce domaine, chez l’humain et également chez l’animal, l’une des conditions est la reconnaissance ou la compréhension des signaux envoyés, lesquels auront dû être émis par des mécanismes nerveux adéquats.
La deuxième classe de signaux est relative à l’émotion ; ils appartiennent à des réactions « autonomes » des organes dits végétatifs. Tantôt la réponse est relativement isolée (salivation intense, hérissement des poils, accélération cardiaque et respiratoire, dilatation de la pupille), tantôt le tableau est une réaction émotionnelle généralisée. Dans notre espèce, ces processus végétatifs sont généralement plus discrets, avec pâleur ou au contraire rougissement du visage, avec rires ou pleurs, c’est selon.
On n’en finirait pas de décrire tous les signes distinctifs des comportements et émotions marquant la vie sociale, et qui bien entendu sont gouvernés par le système cérébral (approche, attaque, défense ou immobilisation chez l’animal, comportements infiniment plus complexes chez l’homme).
Dans un très grand nombre d’espèces, même chez l’homme, existent aussi certaines communications par des signaux qui sont hors de notre portée, olfactifs, phéromonaux, acoustiques infra ou ultrasonores, infrarouges ou ultraviolets, sans compter des signaux tactiles à très basse fréquence et d’autres encore dont nous ignorons jusqu’ici la nature. Nous sommes là devant un domaine où l’exploration future saura ajouter des informations nouvelles et certainement importantes. Et le neurobiologiste ne manquera pas de noter une donnée récente : chez des humains ayant une vie sociale active, on a pu constater un important développement d’une partie du cerveau, l’amygdale, noyau connu pour son importance dans la régulation végétative et les émotions. Le volume de l’amygdale serait directement corrélé avec la taille et la complexité du réseau social des humains adultes (1).
, « Amygdala volume and social network size in humans », , vol. XIV, n° 2, février 2011. , « Does the chimpanzee have a theory of mind ? », , vol. I, n° 4, 1978. Les observations sont essentiellement faites sur une espèce particulièrement coopérative de chimpanzé dite « bonobo ». , « Does the chimpanzee have a theory of mind ? 30 years later », , vol. XII, n° 5, mai 2008. Ces conclusions font l’objet de rejets assez polémiques actuellement. Voir D.C. Penn et D.J. Povinelli, « On the lack of evidence that non-human animals possess anything remotely resembling a “theory of mind” », , n° 362 , 29 avril 2007. , « The functional architecture of human empathy », , vol. III, n° 2, juin 2004.