Moins rationnel et plus émotionnel, notre langage a beaucoup évolué depuis un siècle et demi. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés des chercheurs néerlandais et américains à l’issue d’une vaste étude sur des millions de livres publiés dans la base de données GoogleBooks depuis 1850. Ils ont d’abord comparé l’occurrence des termes se référant au rationnel (déterminer, conclure, démontrer…) et des expressions du registre émotionnel (croire, sentir, blâmer…) au fil des années. Si le langage rationnel augmente de manière constante depuis 1850, que ce soit dans les œuvres de fiction ou les essais, en anglais ou en espagnol, à partir des années 1980 un virage s’opère, qui s’accentue à partir de 2007. Les termes rationnels deviennent moins fréquents, alors que l’émotionnel est de plus en plus prégnant. De la même manière, les chercheurs observent une utilisation croissante des pronoms individuels (je, mon, il, elle, son) au détriment des pronoms collectifs (ils, elles, nous, leurs, nos). Cette tendance se vérifie dans les articles du New York Times entre 1850 et 2019, ainsi que dans les termes utilisés dans le moteur de recherche Google depuis 2004. Pour expliquer cette évolution, les auteurs émettent l’hypothèse de sentiments d’injustice sociale croissants depuis les années 1980 en réaction aux politiques néolibérales. La crise financière de 2007 pourrait expliquer le deuxième rebond, mais également la montée en puissance des réseaux sociaux où prolifèrent les contenus avec un fort impact émotionnel et théories basées sur des croyances subjectives plutôt que scientifiques. Pour les chercheurs, ces résultats indiqueraient en tout cas une évolution générale de notre manière de percevoir le monde ces quarante dernières années.