Bébés bientôt sous contrôle ?

Pourquoi le rapport de l’Inserm sur les troubles des conduites chez les enfants a-t-il provoqué une violente controverse ? Nombre de professionnels de la petite enfance estiment qu’il comporte un risque : celui de transformer l’enfant turbulent en futur délinquant.

C’est un pavé de 428 pages, au titre assez austère : Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Publié par l’Inserm en septembre 2005, il est l’œuvre d’un groupe de chercheurs (psychologues, psychiatres, généticiens, cognitivistes). Objectif affiché : faire le point sur les connaissances concernant ce trouble psychiatrique, et en tirer des conseils pour prévenir son apparition (voir encadré p. 74). Résultat : il met le feu aux poudres. En janvier 2006, quelques professionnels de l’enfance (pédiatres, psychiatres, psychanalystes), dont Bernard Golse, Boris Cyrulnik et Élisabeth Roudinesco, lancent une pétition intitulée « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans ». Ils s’y insurgent contre « l’approche déterministe » qui émane de cette expertise fondée « sur la base de théories de neuropsychologie comportementaliste ». Il critique notamment la proposition faite de dépister à 36 mois les signes suivants : indocilité, hétéroagressivité, faible contrôle émotionnel, impulsivité, indice de moralité bas. Signalant d’emblée la coïncidence entre la publication de ce rapport et la préparation au sein du gouvernement d’un plan de prévention de la délinquance prévoyant un dépistage très précoce des troubles comportementaux, le texte interroge : « Faudra-t-il aller dénicher à la crèche les voleurs de cubes ou les babilleurs mythomanes ? » Les initiateurs tablaient alors sur 5 000 signatures au mieux. Six mois plus tard, ils frôleront les 200 000… Essayons de comprendre comment un travail d’expertise relativement pointu a pu susciter une telle mobilisation.

Un air du temps

Cette controverse est le point d’orgue d’une série d’événements récents relativement disparates, mais qui ont en commun de se situer au sein des relations triangulaires entre le champ des professionnels de l’enfance (éducateurs au sens large, médecins de PMI, psychologues…), le champ des sciences cognitives et médicales (neurosciences, génétique, psychiatrie) et, last but not least, le champ politique. En novembre 2004 par exemple, un prérapport parlementaire sur la prévention de la délinquance propose d’agir dès l’âge de 1 à 3 ans, en obligeant les parents d’origine étrangère à ne parler que le français en famille. Figure en effet dans ce document une « courbe évolutive » du jeune délinquant suggérant que les difficultés initiales ne font que s’aggraver au fur et à mesure des années. Cette courbe d’allure scientifique très suggestive ne s’appuie cependant sur aucune recherche…
En septembre 2005, Le Journal des psychologues publie une pétition émanant de neuf spécialistes des tests d’intelligence. Ils s’inquiètent d’une demande sociale de plus en plus forte, émanant de parents mais aussi d’institutions, pour une mesure des capacités mentales réduite à un chiffre, celui du QI. Ils rappellent que « le QI n’est ni une fatalité, ni un destin », mais simplement « le point de départ d’hypothèses et d’investigations » devant être nourries par des examens approfondis. Cette année encore, une enquête par questionnaire de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN) sur la santé mentale, diffusée dans les écoles de Paris, est stoppée devant les réactions de parents et de professionnels qui s’interrogent sur ses finalités. Et en mai, Tony Blair lançait un programme d’assistance aux mères « à problèmes », dont les enfants nés depuis moins de deux ans ou à naître présentent les plus grands risques d’exclusion et « donc » d’orientation vers la délinquance.