L’inconscient collectif, les archétypes, le soi, l’anima, l’animus…, des concepts clés de la psychologie analytique de Carl Gustav Jung peu connus en France et quasiment absents des enseignements universitaires. Et pourtant Jung compte aussi une petite communauté d’adeptes qui défendent ardemment son œuvre. Nombreux sont les écrivains, cinéastes et artistes qui se sont inspirés de lui. Des francs-maçons au new age, des recruteurs en entreprise aux généalogistes, Jung a laissé son empreinte dans des bien des domaines. Peu le savent, mais c’est à lui qu’on doit les notions d’introversion/extraversion entrées depuis longtemps dans le langage courant. Mais Jung, ce fut aussi un homme complexe, plein de contradictions. Suspecté d’antisémitisme et de connivence avec le nazisme par les uns, homme d’ouverture aux cultures orientales pour les autres, pionnier des méthodes expérimentales en psychiatrie, mais tout autant intéressé par le spiritisme et le religieux. C’est notamment ce penchant qui lui vaut encore aujourd’hui beaucoup de méfiance dans la communauté scientifique.
Des phénomènes occultes à la psychiatrie
Jung naît en 1875 en Suisse alémanique. Issu d’une famille de pasteurs du côté paternel et de médecins du côté maternel, c’est un enfant introverti et solitaire. Très cultivé, il apprend le latin dès 4 ans et se passionne aussi bien pour la philosophie, la sociologie, l’anthropologie ou encore l’archéologie. Lorsque son père intègre une clinique psychiatrique en tant qu’aumônier, il commence à s’intéresser aux maladies mentales. Très tôt, Jung croit reconnaître en lui l’existence de deux personnalités distinctes. Son numéro 1, comme il le nomme, est conventionnel, volontaire, organisé, inscrit dans le temps. Son numéro 2, libre, passionné, turbulent, colérique et hors temporalité. Dans son autobiographie, il rapporte un épisode clé qui se situe aux alentours de ses 12 ans. Sur le chemin de l’école, il est frappé par un camarade et blessé à la tête. À la suite de cet incident, Jung développe une véritable phobie scolaire. Il refuse d’aller à l’école et même de travailler à la maison. À chaque tentative de ses parents, Jung tombe dans les pommes. Pendant six mois, il reste alors cloîtré au foyer. Un jour, il surprend une conversation de son père avec un ami dans laquelle il confesse ses inquiétudes pour son fils. Le jeune Carl Gustav va alors prendre la résolution de vaincre cette phobie. Il décide de se mettre au travail, tombe encore dans les pommes à trois reprises, mais se relève à chaque fois et persiste, puis retourne à l’école. « C’est ainsi que j’ai appris ce que c’est qu’une névrose 1», écrit Jung dans son autobiographie. On découvre là ce qui restera sa marque de fabrique : observer ses propres pensées, faits et gestes pour en tirer des conclusions sur le fonctionnement psychique des hommes.
Après son baccalauréat, il commence des études de médecine puis se dirige vers la psychiatrie. En 1900, Jung entre dans la célèbre clinique du Burghölzli dirigé par Eugen Bleuler, notamment connu pour ses travaux sur la schizophrénie. À la maison, il assiste à des séances de spiritisme animées par sa cousine Helly âgée de 15 ans. Les tables qui tournent et les dialogues avec l’au-delà lui inspirent sa thèse sur la Psychologie et psychopathologie des phénomènes qu’on dit occultes. Pour Jung, ces phénomènes nous fournissent bien des clés sur le psychisme. Il évoque des « personnalités inconscientes dissociées qui se manifestent dans les séances 2 » et pose le diagnostic d’un délire hystérique pour sa cousine. Il interprète ses visions comme une « tentative pour constituer ou reconstituer l’unité de sa personnalité dissociée 2 ».
Des associations verbales à l’inconscient collectif
Dans ses premières années au Burghölzli, Jung met en place un véritable laboratoire de psychologie expérimentale. Il étudie la réaction de ses patients à partir d’une liste de mots inducteurs. Il prend en compte le contenu des associations verbales, mais également l’activité électrodermale, la respiration, le pouls. Jung s’attarde sur les mots pour lesquels la personne met plus de temps à trouver une réponse et ceux qui provoquent les réactions les plus vives. Pour expliquer ce phénomène, il met en avant l’existence de complexes ou conflits inconscients. Ces complexes interfèrent selon lui avec la conscience et bloquent le flux naturel des associations verbales. Pour Jung, les complexes se révèlent aussi à travers les actes manqués, les lapsus ou autres maladresses.