Il est rare pour un professeur de Harvard que l'un de ses livres devienne une référence pour les islamistes radicaux, partageant ce privilège avec Les Protocoles des sages de Sion , ou encore - autre curiosité, bien de chez nous celle-là - les écrits de Roger Garaudy. C'est pourtant ce qui est arrivé à Samuel Huntington qui, avec son fameux Choc des civilisations (Odile Jacob, 2000), s'est attiré des sympathies pour le moins inattendues. Il est vrai que quand on écrit dans un article à caractère scientifique que « le sang coule sur toutes les frontières de l'islam » , ce n'est pas nécessairement auprès des modérés que l'on s'attire le plus d'admirateurs !
Pour S. Huntington, les guerres, dans le monde de l'après-guerre froide, ne mettront plus aux prises des Etats-nations, ni d'ailleurs des idéologies ; les conflits à venir seront « civilisationnels », autrement dit des conflits entre entités culturelles définies par un certain nombre de critères objectifs, et en particulier la religion - qui est, selon S. Huntington, le premier des critères qui rapprochent les hommes et leur donnent le sentiment d'appartenir à une même communauté.
Selon le schéma de S. Huntington, il y aurait 7 ou 8 blocs civilisationnels, le chiffre est variable. Mais c'est de la civilisation islamique que les plus grands dangers seraient à craindre. Les Occidentaux doivent s'attendre à une vaste guerre islam-Occident s'ils persistent à vouloir promouvoir leurs valeurs auprès de populations qui se sentent menacées dans leur identité.
Le problème est que S. Huntington occulte des faits essentiels. Le monde islamique est en réalité divisé. La fameuse Oumma (la Communauté des croyants) n'a aucune existence politique. Les entretiens rapportés par Gilles Kepel dans sa Chronique d'une guerre d'Orient (Gallimard, 2002) sont à cet égard extrêmement instructifs. On y voit des populations musulmanes qui, tout en portant un jugement sévère sur la politique étrangère américaine, dans leur grande majorité condamnent les attentats orchestrés par Oussama Ben Laden et ses hommes.
Où est la solidarité islamique ?