À la différence d’autres disciplines médicales, il n’existe à ce jour aucune certitude sur l’origine précise des affections en psychiatrie. Ceci empêche de les classer comme on le fait en infectiologie (maladies virales, bactériennes, etc.) ou encore en dermatologie (éruptions infectieuses, allergiques, etc.). Il est pourtant indispensable de disposer de repères communs dans la définition et l’organisation des diagnostics. Deux voies sont alors possibles : soit s’appuyer sur des modèles théoriques ou des hypothèses explicatives, soit tenter une approche purement descriptive, reposant sur l’observation des symptômes et pas du tout sur leurs causes présumées.
Fiabiliser le « codage »
La première option fut celle de la psychiatrie « traditionnelle », qui reposait en grande partie sur les hypothèses psychanalytiques. On distinguait ainsi en premier lieu les névroses et les psychoses puis, au sein de chaque catégorie, des sous-types (névroses actuelles, de transfert, narcissiques, etc.) en fonction des mécanismes psychiques en jeu. Cette approche séduisante intellectuellement a prédominé pendant quelques décennies mais a été remise en cause progressivement, car le fondement des hypothèses causales psychanalytiques n’a jamais été consensuel et « démontré » scientifiquement. Le manque de clarté dans la définition des troubles et la part laissée à l’interprétation subjective ouvraient aussi la porte à une grande discordance dans les diagnostics portés pour un même patient.
Devant ces difficultés, la voie empruntée par les sociétés savantes, à partir des années 1980, fut de proposer une méthode de classification dite athéorique, basée sur la description des troubles et leur évolution. La nouveauté fut de proposer, pour chaque diagnostic, des critères de définition précis, permettant d’aboutir plus facilement à un accord diagnostique entre plusieurs cliniciens. Cette méthode a pour principal objectif de fiabiliser le « codage » des dossiers de patients, pour l’organisation des soins et l’optimisation de la recherche : travail en commun entre plusieurs équipes et pays, critères d’inclusion dans les études, etc. Il n’était initialement pas question de proposer les critères diagnostiques comme base de l’enseignement de la psychiatrie et du raisonnement clinique, du fait du caractère nécessairement réducteur et désincarné de ces outils. Or, le succès et la diffusion de cette approche, aux États-Unis d’abord puis dans le monde entier, furent tels que son utilisation a évolué vers des objectifs beaucoup plus larges en pratique courante.