Comment devient-on un leader ?

Dans les études de management, l’autorité a un autre nom : le leadership. Il désigne cette capacité à entraîner l’adhésion sans contraindre. Mais comment y parvenir ? Petit bilan d’un siècle de recherche.

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Lorsque Steve Job est décédé, le 5 octobre 2011 à l’âge de 56 ans, tous les observateurs ont reconnu et salué en lui un capitaine d’industrie hors du commun. Parti de presque rien – en 1976, l’Apple I a été bricolé par deux amis dans le garage des parents –, Apple est devenue trente-cinq ans plus tard la première firme mondiale 1 ! Le cofondateur d’Apple fut un visionnaire. À lui seul, il a révolutionné deux technologies qui ont changé notre vie quotidienne : le micro-ordinateur (avec les Mac) et le téléphone (avec l’iPhone), sans même parler de la musique avec iPhone ou du livre avec iPad. S. Job sentait comment une nouvelle technologie pouvait se transformer en nouveau mode de vie. À partir de là, il imaginait un produit et l’imposait à ses équipes, technologie, ergonomie et designcompris. Il était aussi connu pour être un redoutable négociateur et implacable meneur d’homme (très exigeant et intraitable à l’égard de ses équipes, il n’hésitait pas à critiquer vertement et à licencier sans scrupules ceux qui n’étaient pas à la hauteur) 2. Malgré son apparence nonchalante et décontractée (pull noir à col roulé et jean), c’était aussi un grand communicateur : ses fameuses messes « Mac Events » étaient des événements mondiaux.

Le destin exceptionnel de S. Job correspond tout à fait à la définition du leader : celui qui rêve d’un autre monde et parvient à enrôler les autres dans son rêve. Quand il a débauché John Sculley, le patron de Pepsi-Cola, il lui a lancé cette phrase célèbre : « Vous comptez vendre des boissons sucrées toute votre vie ou vous voulez changer le monde avec moi ? » C’était en 1983. Deux ans plus tard, J. Sculley vira S. Jobs de son poste… et, quelques années plus tard, le rappela à la rescousse pour venir sauver Apple, alors en perdition…

Si l’histoire de S. Jobs suscite autant l’attention des observateurs, c’est en raison de la fascination qu’exerce toujours le destin exceptionnel des self-made-man. C’est aussi parce qu’à travers son cas, on peut caresser l’espoir de décrypter les qualités du vrai leader, enseigner les recettes de son succès et éventuellement le copier. En quelques années, le cas S. Jobs est d’ailleurs devenu un cas d’école dans les business schools.

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Genèse de l’étude du leadership

L’étude du leadership forme aux États-Unis un secteur universitaire spécifique – les leadership studies – avec ses enseignements, ses associations professionnelles, ses centres de recherche, ses colloques, ses écoles de pensée, ses revues 3, ses livres académiques, ses manuels et ses best-sellers de consultants, et, bien sûr, ses leaders (Peter Drucker, Warren Bennis, Henry Mintzberg…).

Tout a commencé dès le XIXe siècle avec la théorie des « grands hommes » de Thomas Carlyle, souvent désignée comme le point de départ de l’étude sur le profil des leaders. Cet Écossais était un intellectuel iconoclaste, très hostile aux idées démocratiques alors montantes. Contre Jules Michelet ou Karl Marx qui faisaient du peuple l’agent principal de l’histoire, T. Carlyle soutenait une vision de l’histoire dominée par quelques individus d’exceptions dont Mahomet, Martin Luther ou Napoléon étaient les emblèmes. Pour T. Carlyle, ces « héros », qu’ils soient prophètes, généraux, révolutionnaires ou capitaines d’industrie, se distinguent du commun des mortels par leurs talents particuliers : intelligence stratégique, détermination et capacité à entraîner des troupes derrière eux.