Comment je suis devenu un élève (presque) modèle

Quelles sont les raisons qui poussent un ex-cancre à se muer en bon élève ? Elles ne se résument pas à une potion magique – la motivation – 
mais à une alchimie de motifs, facteurs et circonstances que 
les psychologues s’attachent désormais à démêler avec précision…


J’avais 16 ans et j’étais dégoûté de l’école. Dégoûté, fâché et en révolte. D’abord parce que je n’y comprenais rien. Les mathématiques ? « ax + b = 0 donc x = - b/a », pour moi, c’était de l’hébreu. Et l’inflexible prof de maths, Mme Chapuis – un robot d’acier portant un chignon – ne me paraissait pas un être humain comme les autres. Le français ? Je n’avais jamais pu assimiler la règle d’accord du complément d’objet direct ni celle des verbes intransitifs (elles me sont toujours étrangères), en plus, je frisais la dysorthographie (c’est toujours le cas). Autant dire que ma moyenne en dictée avait toujours avoisiné zéro.

L’anglais ? Les listes de vocabulaire et la règle du prétérit m’ennuyaient à mourir. J’étais prêt à faire un effort pour le jour où j’irais vivre en Amérique – mon rêve d’alors – ou pour comprendre les chansons des Beatles – mais même les traductions de « Beatles », « rock ‘n roll » ou « Rolling Stones » ne me paraissaient pas claires. Restaient quelques cours d’histoire qui m’intéressaient parfois. Et surtout l’éducation physique, mon vrai domaine d’excellence. Mais c’était bien insuffisant pour assurer une moyenne générale. Du coup, j’avais redoublé la sixième puis de nouveau la quatrième. Résultat : deux ans de retard dès la quatrième. Autant dire que j’avais pris l’école en grippe.

C’était l’âge de l’adolescence, celle de l’affirmation de soi. Et quand on subit des échecs répétés, il ne reste plus d’autre issue que la fuite (mais c’était impossible), le repli (pas mon genre) ou l’affrontement : un mécanisme de défense courant chez les exclus et qui consiste à rejeter ceux qui vous oppriment. Résister et affronter : c’était une question d’orgueil. J’avais donc rejoint fièrement la petite communauté des cancres qui ricanaient au fond de la classe et harcelaient les profs à longueur de journée. La guérilla antiprofs était devenue mon combat.

 

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Les éléments déclencheurs du miracle

Puis il y eut un miracle. À quoi était-il dû ? Il y eut plusieurs éléments déclencheurs, difficiles à départager. D’abord, la grande frousse que me fit mon père : « Jean-François, tu auras 16 ans dans trois mois, c’est la fin de l’obligation scolaire, tu vas venir travailler à l’usine avec moi. » Ce fut un électrochoc. Puis il y eut Marion, cette jeune prof de mathématiques d’une vingtaine d’années, venue pour aider les redoublants dans des cours de soutien scolaire (j’en étais tombé éperdument amoureux). Y a-t-il eu d’autres déclencheurs dont je ne me souviens plus ? Toujours est–il qu’en trois mois ce fut une métamorphose. Grâce aux explications patientes et limpides de Marion, l’algèbre a commencé à percer ses mystères. « ax + b = 0 donc x = - b/a » : mais bien sûr ! Ce n’est pas si compliqué, j’ai compris ! C’est magique. Il suffisait de se concentrer un peu et l’énigme pouvait se résoudre. Ce fut ma pierre de Rosette. Comme Champollion avec les hiéroglyphes (en plus, il s’appelait Jean-François, c’était un signe !).

Ce fut une révélation. Puis un défi. Au contrôle sur table suivant, j’obtins un inoubliable 16/20 en maths : le premier de ma carrière d’élève – une note qui reste aussi présente à l’esprit que le premier baiser qui soit dit en passant, date de la même époque. J’avais même fait mieux que Pierre-Éric R., le premier de la classe. Moi devant Pierre-Éric, vous vous rendez compte ? Comment est-ce possible ? Cela voulait dire qu’on pouvait, en partant du bon pied, en se concentrant et en s’entraînant, réussir une épreuve d’algèbre. Pourquoi ne pas continuer ? Se fixer des objectifs et progresser. Puis en recueillir tous les bénéfices : l’excitation intellectuelle, la récompense concrète d’une bonne note, le plaisir de battre Pierre-Éric, la disparition de l’épée de Damoclès que représentait l’usine. Et bonus supplémentaire, j’ai même décroché les félicitations du robot à chignon : « Eh bien, Jean-François, tu as mangé du lion ? Bravo », avait dit Mme Chapuis avec un large sourire en me rendant la copie. J’étais heureux.

Ce fut le déclic. Je me suis lancé dans un entraînement scolaire intensif : le même que je m’imposais alors pour la course à pied. Je me rappelle être allé au collège avec une sensation nouvelle : non plus seulement pour voir les copains et me moquer des profs mais pour suivre les cours, me faire féliciter, récolter des bonnes notes. Seul désagrément : j’éprouvais un peu de honte à l’égard de mon clan. J’avais trahi la cause. J’étais en train de rejoindre le groupe honni des Pierre-Éric, l’élève modèle (on ne disait pas encore un « nerd » à l’époque, mais Pierre Éric était pareil : petit, avec des lunettes, fort en thème et nul en sport).