Robert Vallerand : « La souffrance n'est pas nécessaire pour atteindre l'excellence »

Chercheur renommé, mais également ancien joueur de basket et guitariste à ses heures, le professeur de psychologie canadien Robert Vallerand a fait de la passion son objet d’études. Ses recherches sur les processus motivationnels l’ont amené à dissocier deux rapports à la passion : l’un harmonieux, l’autre obsessif.

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Comment vous êtes-vous intéressé aux processus motivationnels ?

Dans ma jeunesse, j’ai été un joueur de basket passionné. J’ai même joué dans l’équipe nationale du Québec. À cette époque, on commençait tout juste à s’intéresser à la psychologie du sport et à étudier le mental des grands champions pour essayer d’expliquer leurs performances. Ces questions m’ont toujours préoccupé. En 1975, j’étais encore étudiant et je suis tombé sur un livre du professeur de psychologie Edward Deci qui m’a beaucoup interpellé. Il y met en avant l’importance du monde intérieur comme moteur de la performance. Dans sa théorie de l’autodétermination, il insiste sur les besoins psychologiques de l’individu, à rebours du courant dominant à l’époque, le behaviorisme, selon lequel nous sommes avant tout des organismes réactifs, soumis à la puissance de forces extérieures. Dans cette théorie, c’est la récompense qui conditionne l’envie de réussir et de s’accrocher. Or, pour Edward Deci, c’est plutôt la recherche de satisfaction de nos besoins intimes (intrinsèques) qui amène l’individu à explorer son environnement. Le psychologue Albert Bandura a montré avec sa théorie de l’apprentissage social 1 qu’il suffisait d’observer quelqu’un d’autre en train de réussir une épreuve pour être soi-même motivé, et sans forcément espérer de récompense à la clé.

En vous appuyant sur les recherches d’Edward Deci, vous avez développé votre propre modèle hiérarchique de la motivation. En quoi consiste-t-il ?

J’ai défini trois sources d’influence de la motivation humaine. La première est la personnalité qui peut être plus ou moins autodéterminée La deuxième est le contexte, c’est-à-dire les récompenses ou les punitions, ce qui rejoint la perspective behavioriste. Enfin, la troisième composante est le type d’activité auquel se livre la personne, par exemple étudier, pratiquer un sport ou s’adonner à une tâche relationnelle (jouer avec ses enfants, passer une soirée en amoureux…). Ces trois facteurs interagissent en permanence. Ils agissent du plus général (la personnalité) au plus spécifique (la tâche). Lorsqu’on a une personnalité engagée et persévérante, un contexte motivant (une compétition sportive mondiale, un concours) et une tâche qu’on apprécie, on réunit les conditions d’une motivation optimale. Par la suite, j’ai introduit le concept de passion qui me semblait plus musclé que celui des motivations intrinsèques.

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Comment définissez-vous la passion ?

La passion est une forte inclination envers une activité, qu’un individu aime, valorise et dans laquelle il investit du temps et de l’énergie régulièrement. Occupant une place de choix dans sa vie, cette activité en vient à le définir en tant que personne. Nos études ont montré que 80 % des gens avaient au moins une passion. Cela peut être leur travail, mais aussi faire des choses en famille, retrouver des amis au pub, pratiquer un loisir, etc. Ces études montrent aussi que le fait d’avoir une passion ajoute beaucoup au sentiment de bien-être sur le long terme. Les personnes qui n’ont pas de passion sont globalement moins heureuses.