Comment nourrir l'humanité en 2050 ? Entretien avec Gilles Fumey

Alors que resurgit la peur de pénuries agricoles, peut-on deviner les évolutions futures des comportements alimentaires ?

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Dans la conclusion de Manger local, manger global, vous annonciez un renouvellement des pratiques alimentaires dans les décennies à venir. Pouvez-vous revenir sur le modèle actuel et les évolutions que vous anticipez ?

Le modèle alimentaire mis en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a été imaginé par des gens qui avaient connu les pénuries. Ils désiraient l’abondance alimentaire à l’américaine et ont fait le choix d’une artificialisation de la production agricole. Les céréales sont alors devenues de plus en plus des aliments du bétail, à l’origine de la viande industrielle, facile à transformer et conserver. En France, on tue 1 200 000 000 d’animaux chaque année. C’est intenable à long terme. L’industrie de la viande s’est emballée parce qu’en manger était valorisant socialement. Avec la crise environnementale, la mesure de l’empreinte carbone de l’alimentation a renversé cette vision.

La solution peut-elle venir des biotechnologies ? Certains le pensent. Serions-nous en train de vivre une révolution aussi importante que l’invention de l’agriculture au Néolithique ? Pour la première fois dans l’histoire, on sait fabriquer de la nourriture sans agriculture. En France, nous ne sommes pas habitués à l’idée qu’on puisse manger du foie gras sans élevage, du caviar cellulaire et que les faux-filets seraient fabriqués dans des bioréacteurs. Mais on peut parier que les esprits vont évoluer. Selon le Good Food Institute, en prélevant les cellules souches d’une seule vache et sans la tuer, on obtient de quoi fabriquer 175 millions de burgers. Quoi qu’on en pense, c’est assez vertigineux.

Est-ce que la tendance vers une alimentation plus végétale est observée à l’échelle mondiale ?

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Il y a une idée reçue selon laquelle la consommation de viande progresse dans les pays en voie de développement. Mickaël Bruckert a tiré de sa thèse « La chair, les hommes et les dieux » une étude autrement plus nuancée. Dans l’Inde majoritairement végétarienne, il constate que la consommation de viande progresse dans les couches sociales proches des élites postcoloniales et le haut de la classe moyenne. Mais en Inde comme en Chine où le coût environnemental de fabrication est un frein, on est loin d’une démocratisation de la consommation carnée. D’ici 2050, on peut parier que la progression actuelle se sera ralentie voire aura été renversée. L’écart entre les modes de consommation riches et pauvres n’est pas près de se résorber. Avec le modèle industriel intensif, l’accès à l’alimentation va être beaucoup plus difficile dans les pays en développement. La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) le sait depuis la crise de 2008 et veut développer l’agriculture paysanne.