Soyons honnêtes, personne n’a envie d’aimer un connard. Qualifier l’autre de connard, c’est même dresser symboliquement une barrière infranchissable entre les gens bien (dont nous sommes, évidemment) et lui. Mais parce que les sentiments s’en mêlent, les choses sont moins simples en famille : « Notre société montre une croyance très forte en une idéologie familialiste, selon laquelle la famille est un refuge où tout le monde doit s’aimer inconditionnellement », explique la psychosociologue Dominique Picard, professeure émérite à l’université ParisXIII et coauteure d’un ouvrage sur les conflits interpersonnels 1. À cette injonction sociale s’ajoute, pour les enfants, le processus psychobiologique de l’attachement, comme le rappelle Sophie Tournouër, psychologue clinicienne et thérapeute familiale : « Tout enfant s’attache à la personne qui l’élève, même si cette figure d’attachement agit de manière inadéquate, voire maltraitante. » Côté parents, c’est souvent l’amour, mais aussi parfois le sens du devoir, qui permet de maintenir le lien, envers et contre tout. S. Tournouër se souvient du soutien indéfectible du père d’une adolescente au comportement très violent, multipliant les conduites à risques : « Qu’est-ce que Dieu va penser de moi si j’abandonne mon enfant ? », avait-il déclaré.
Reste alors l’énigme des relations conjugales : alors même que les partenaires se sont choisis librement, comment expliquer que tant de personnes tombent amoureuses d’un connard ? Pour le psychiatre Philippe Aïm, c’est généralement par ignorance : « Aux premiers temps d’une relation, on se présente à notre avantage, on dissimule nos défauts… et les connards ne font pas exception ! » Mais le séducteur ne serait pas seul responsable de la méprise, car sa parade serait inopérante sans le déni manifesté par la personne séduite : « Les neurosciences ont montré que quand on présente à un individu une image de l’être aimé, l’amygdale (zone cérébrale spécialisée dans la détection du danger) s’éteint, les signaux d’alerte se calment. L’amour n’est donc peut-être pas aveugle, mais il est sacrément myope ! », ironise le psychiatre. Présent dans tous les couples, ce phénomène peut s’aggraver lorsque le connard est un homme. En effet, en raison des stéréotypes sexistes, la figure du connard machiste reste encore séduisante aux yeux de certaines femmes, car associée à une forme de virilité : « Le problème est que cette attirance repose sur une posture de domination qui s’avère toxique, tant pour les femmes que pour les hommes », rappelle le médecin.