La crise financière que nous vivons a eu un effet révélateur. Un peu comme lorsque l’on détricote un pull en tirant sur un fil, elle nous a montrés à quel point la finance nous connecte les uns aux autres. Des villageois norvégiens ont récemment réalisé que leur maternelle fonctionnait en sous-effectifs parce que la municipalité avait souscrit des titres adossés à la dette de spéculateurs fonciers américains, devenus entre-temps insolvables. De leur côté, des automobilistes hongrois ont dû se priver de dessert parce que les mensualités de leur crédit-auto libellé en euros avaient augmenté en raison des décisions d’une lointaine banque centrale. Et des instituteurs et des pompiers américains ont dû repousser leur départ à la retraite parce que la valeur de leur maison ou de leur fonds de retraite s’était effondrée.
Comment en est-on arrivé là ? Il a fallu pour cela que la finance imprègne les esprits au point de façonner aussi bien l’économie familiale que la conduite de l’État. Dans cet article, je raconte comment cela s’est produit aux États-Unis, le pays où la finance a connu son influence la plus considérable.
Voilà une trentaine d’années maintenant que les financiers de Wall Street sont partis à la conquête de l’Amérique moyenne. En raison de l’évolution du système de retraites par capitalisation et de la diminution du coût des placements directs, la part des ménages investissant en Bourse est passée de 20 % à 50 % au début des années 2000. Pendant la même période, un mouvement de titrisation s’est emparé des économies familiales : des titres adossés à des crédits immobiliers et à la consommation, à des prêts étudiant et à des encours de carte de crédit ont été vendus à des investisseurs. La titrisation était un négoce des plus rentables pour les banques de Wall Street. À tel point qu’elles étaient prêtes à émettre des titres sur tout ce qui ce qui pouvait générer un flux de revenu, depuis les prix de loterie jusqu’aux indemnisations d’assurance.
La destinée économique des ménages dépendait désormais de manière croissante des cours boursiers. Les États-Unis étaient devenus une république de spéculateurs. En se levant chaque matin, ma sœur, institutrice de son état, commençait par préparer son café. Elle allumait ensuite son ordinateur pour consulter l’état de ses placements et voir si la valeur de son plan épargne retraite avait changé depuis la veille. Si le marché était à la hausse, elle s’autorisait à déjeuner au restaurant. S’il était à la baisse, ses enfants avaient intérêt à être sages comme des images.