Controverse sur la diversité humaine

L’anthropologie de Claude Lévi-Strauss propose une vision particulière de la diversité humaine. Formulée au début des années 1950, elle finit par susciter de vives critiques dans les années 1980, au moment de l’essor du néoracisme de l’extrême droite française, auquel elle se trouva injustement assimilée. Aujourd’hui, conforme au discours en vogue sur la nécessité d’une protection de la diversité culturelle, elle acquiert une légitimité nouvelle.

Claude Lévi-Strauss a toujours considéré que les grandes doctrines philosophiques et religieuses de la tradition occidentale n’avaient pas fait un effort suffisant pour penser la diversité des cultures humaines. Au lieu d’accepter la pluralité des mœurs, des coutumes et des croyances comme un phénomène sain et normal, nous avons tendance à réagir face à la différence culturelle par une sorte de répulsion spontanée, laquelle peut prendre des formes certes variées, parfois sophistiquées, voire refoulées, mais qui témoignent toutes de la difficulté que nous éprouvons à rendre la diversité intelligible et acceptable. L’une des missions que C. Lévi-Strauss confère à l’anthropologie est d’expliquer la différence culturelle et de nous aider à y voir autre chose qu’une révoltante monstruosité ou un insupportable scandale.

Bien que la réflexion sur ce problème insigne apparaisse en filigrane dans toute l’œuvre de C. Lévi-Strauss, elle trouve son expression la plus explicite et la plus marquante dans ses deux publications destinées au grand public, qui abordent ce thème dans ses rapports avec la question du racisme : Race et histoire (1952) et Race et culture (1971) (1). Nés d’un dialogue avec la doctrine de l’Unesco, les deux textes connurent des réceptions fortement contrastées : alors que le premier reçut un accueil très favorable et finit par devenir un classique de la littérature antiraciste, le second fit scandale et devint la cible d’acerbes critiques qui lui reprochaient une proximité impardonnable avec les positions néoracistes de l’extrême droite.

Ces vicissitudes témoignent non seulement d’une évolution de la pensée de C. Lévi-Strauss, mais aussi et surtout des transformations profondes que notre vision de la diversité culturelle a connues depuis un demi-siècle.

Après le nazisme et la Shoah, l’une des priorités pour les pays sortis victorieux de la Seconde Guerre mondiale était de délégitimer l’idéologie de l’inégalité des races. Nouvellement créée, l’Unesco fut chargée de promouvoir les idées auparavant contestées par le nazisme : l’unité de l’espèce humaine, le caractère arbitraire des classifications raciales, l’égalité des humains, la propension à coopération avec ses congénères comme un instinct naturel de l’homme, cette dernière conception étant clairement opposée à la théorie de la « guerre inévitable des races » dont le nazisme avait fait son dogme. Tel était le principal message de la première Déclaration de l’Unesco sur la race, publiée en 1950 (2).