D'une hégémonie à l'autre

L’automne de la Hollande fut le printemps de l’Angleterre. Vivons-nous aujourd’hui l’automne des États-Unis ?

Il est de plus en plus fréquent de souligner un parallèle entre le début et la fin du XXe siècle, deux périodes marquées par une financiarisation de l’activité économique qui se sont soldées par des krachs majeurs : celui de 1929 et celui de 2008. En s’appuyant sur les travaux de Fernand Braudel, on peut néanmoins avancer l’idée que l’essor du capital financier n’est pas propre à ces deux périodes, mais qu’il constitue au contraire un trait récurrent du capitalisme depuis ses origines. En considérant l’histoire longue du capitalisme, il est en effet possible d’identifier quatre périodes de financiarisation globale depuis le XVIe siècle : avant celle que connut l’Angleterre, à la fin du XIXe siècle, et celle que traversent actuellement les États-Unis, Gênes (vers 1560) et les Pays-Bas (à partir de 1740) connurent une évolution similaire. Chacune de ces périodes passées a constitué une phase de réorganisation majeure du système-monde capitaliste, au sens où chacune d’elle a accompagné un passage de relais du leadership économique et politique mondial.

F. Braudel considérait l’essor de la finance, qu’il avait repéré successivement à Gênes, aux Pays-Bas puis en Angleterre, comme l’indice qu’une phase majeure du développement capitaliste avait atteint sa maturité. C’était, selon ses termes, un « signe de l’automne ». Les expansions matérielles qui étaient à l’origine de la prospérité de ces contrées avaient finalement engendré une surabondance de capital monétaire. Celui-ci ne trouvait plus à se réinvestir avec profit dans des activités industrielles et se tournait vers des placements financiers. Il s’ensuivait une période de prospérité apparente, comme celle que connurent la Hollande au milieu du XVIIIe siècle et la Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle. C’était cependant le prélude à une crise terminale d’une hégémonie mondiale et à un déplacement du centre géographique mondial de l’accumulation du capital et du pouvoir militaire.