Chaque image, quelle qu'elle soit, possède deux sortes de propriétés. Elle a tout d'abord des propriétés physiques qui tiennent à son support, ainsi qu'à son origine. Ce peut être, par exemple, une photographie sur papier ou une peinture sur une toile : dans le premier cas, l'image va résulter d'une modification chimique, sous l'influence de la lumière, de la surface sensible du papier photo ; dans l'autre, il s'agit de couches de peinture que l'artiste juxtapose les unes aux autres. Mais une image a aussi des propriétés sémantiques, qui tiennent à son contenu, à ce qu'elle représente, signifie. Ces propriétés sémantiques lui confèrent en fait un sens qui peut être compris par ceux qui la regardent. Bien sûr, le sens d'une image dépend de la personne qui l'a créée : le photographe, en prenant une photo, veut conserver un souvenir ou témoigner de ses opinions ; le peintre, quant à lui, veut exprimer des sentiments ou faire partager son imaginaire. Mais les deux sortes de propriétés, physiques et sémantiques, d'une image sont dissociables. L'image peut changer de support sans changer de sens : on peut photographier la toile tout en lui conservant les mêmes propriétés sémantiques. L'informatique nous a maintenant habitués à la multiplicité des supports possibles pour les images.
Une interprétation de la réalité
Une image est faite avant tout pour être regardée. Média d'information, elle peut servir à transmettre des connaissances, mais aussi à archiver des données, à illustrer un discours, à raconter une histoire, comme les images d'un film ou d'une bande dessinée. Lorsqu'une image est regardée, elle traverse la rétine et le cerveau du spectateur pour se retrouver dans son vécu conscient. Que s'est-il passé ? L'image a-t-elle changé une fois de plus de support physique ? En poussant plus avant la réflexion, d'autres interrogations s'imposent : avons-nous des images dans notre cerveau ? Comment sont représentées, dans le cerveau d'un spectateur, les propriétés sémantiques d'une image qu'il perçoit ? Pour répondre à ces questions, il nous faut retracer le cheminement de l'information depuis l'image de la réalité extérieure jusqu'à la perception et même au-delà puisque, comme nous le verrons, l'image peut « renaître » dans notre conscience sous la forme d'une image mentale, en l'absence de toute réalité extérieure.
En décrivant les mécanismes de la perception, nous allons découvrir que notre vision du monde est donc une interprétation et non une reproduction de la réalité. Considérons par exemple le phénomène de conservation de la taille apparente d'un objet en fonction de sa distance, qui est une des interprétations que fait le cerveau des données de la perception. Le même objet présenté à différentes distances (et donc formant des images de taille différente sur la rétine) conserve une taille apparente à peu près constante. De même, nous ne confondons pas la taille d'un petit objet présenté près de nous avec celle d'un objet plus gros mais présenté plus loin, alors même que la taille de l'image rétinienne de ces deux objets est la même. Nous avons cependant besoin, pour éviter la confusion, d'un contexte qui nous donne des indices sur la distance relative des deux objets (la ligne de fuite, par exemple, ou la ligne d'horizon). C'est ainsi que ce mécanisme de conservation de la taille apparente peut être pris en défaut, si bien que deux objets dont les images sur la rétine ont la même taille peuvent nous apparaître de taille différente, pour peu que l'on change, par un contexte approprié, leur distance apparente. Ainsi dans l'illusion bien connue de Ponzo (voir la photo ci-contre), deux barres ayant strictement la même longueur nous paraissent avoir une longueur différente si elles sont présentées dans un contexte, un environnement tel qu'elles paraissent se trouver à des distances différentes. Bien que les deux barres forment deux images rétiniennes de taille identique, la barre qui paraît la plus éloignée nous apparaît aussi la plus longue parce que, nous apparaissant plus loin, elle devrait effectivement être plus longue que l'autre barre pour pouvoir former une image rétinienne de cette taille. Tout dessinateur sait que, pour qu'un objet paraisse plus ou moins proche dans le dessin, il faut jouer sur sa taille réelle. Ce phénomène de la conservation de la taille apparente des objets peut aboutir à déformer la réalité de manière frappante. La lune, par exemple, nous paraît plus grosse sur l'horizon que lorsqu'elle est en plein ciel. Elle est traitée par le système perceptif comme étant plus grosse bien que ni sa taille ni sa distance réelle n'aient changé 1.