2 août 2007, au large du Groenland. Mir 1 et Mir 2, deux petits submersibles, s’enfoncent silencieusement à travers les eaux noires de l’océan Arctique. Ils amorcent une longue descente qui les emmène à plus de 4 000 mètres de fond, puis serpentent en rase-mottes le long de la dorsale de Lomonossov, ligne de collision entre les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne. Latitude 90° nord, à la verticale du pôle, leur allure ralentit. Le bras articulé d’un des engins se déploie avec, à son extrémité, une pince métallique. Celle-ci s’ouvre pour lâcher sur le plancher marin un drapeau en titane aux couleurs de la Russie.
Deux ans plus tard, le 17 octobre 2009 aux Maldives. Le président de la République, Mohamed Nasheed, a troqué son habituel costume-cravate pour une combinaison de néoprène, un masque et des bouteilles d’oxygène. Vêtus du même accoutrement, ses ministres le rejoignent à coups de palmes derrière de longues tables en bois surmontées de chevalets à leur nom. Autour d’eux, d’autres hommes-grenouilles, postés derrière des caméras étanches, immortalisent cette première mondiale : un conseil des ministres à six mètres sous la surface de la mer. Une résolution symbolique émerge trente minutes plus tard de cette réunion. Elle exhorte la communauté internationale à faire front commun contre la hausse des températures qui menace d'engloutir l’archipel.
Ces mises en scène sous-marines, toutes deux adroitement orchestrées, résument chacune à leur manière les enjeux géopolitiques des changements climatiques. Si la hausse des températures, l’acidification des océans, la pollution de l’air, la fonte des glaces aux pôles, l'intensification des catastrophes météorologiques ou encore la multiplication des feux de forêt ont des conséquences directes sur la vie humaine et la biodiversité, elles en ont aussi sur les politiques de défense.
Prise de conscience
Diplomates et militaires ont désormais compris que la surchauffe planétaire a des implications stratégiques. En bons acteurs régaliens, ils scrutent ces phénomènes avec pragmatisme : pour eux, la crise écologique est non seulement un facteur de risques inédits (submersion des terres, pénuries de ressources, migrations de masse, épidémies, troubles civils), mais aussi d'opportunités à saisir (nouvelles routes terrestres et maritimes à investir, accès à des filons de minerais et d'hydrocarbures jusqu’ici inexploitables). Sur terre, en mer et dans les airs, elle rebat les cartes géopolitiques, exacerbe d’anciennes fâcheries entre États, justifie de nouvelles alliances et déploiements tactiques.
L’ouragan Katrina, qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005, marque les débuts d’une prise de conscience. Avec 2 000 victimes, plus d’un million de déplacés et 150 milliards de dégâts matériels, il est l’un des pires désastres d’origine « naturelle » de l’histoire des États-Unis. Traumatisme supplémentaire : les services fédéraux, dépassés par l’ampleur du sinistre, ont dû être suppléés par l'entreprise de sécurité privée Blackwater. Appelés à la rescousse par la Maison Blanche, des militaires mercenaires – qui se sont aussi illustrés lors de la guerre d’Irak – sont intervenus sur les zones sinistrées pour sécuriser l’arrivée des secours. « L’événement inflige un choc profond au Pentagone et au monde de la sécurité nationale », analyse le géopolitiste Jean-Michel Valantin 1. En cause, « l’impuissance (…) de la “première armée du monde” à aider ses concitoyens lors d’une catastrophe climatique urbaine ».
Après le drame, de nombreux chantiers de réflexions sont lancés pour évaluer les implications stratégiques des bouleversements environnementaux – et éviter de nouvelles « Bérézina » climatiques sur le sol américain. Deux think tanks influents sur les questions de défense publient un rapport conjoint en 2007 2. Il pronostique que l'élévation des températures de 2,6 °C d’ici 2040 mettra à rude épreuve la « cohésion interne » des nations : « L’inondation des communautés côtières, en particulier aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Asie du Sud et en Chine, peut potentiellement remettre en cause les identités régionales, voire nationales, affirment les auteurs. Un conflit armé entre nations pour l’accès aux ressources ou même la conquête d'un territoire (…) est probable, et une guerre nucléaire est possible. »