Des poches d'ultraviolence dans un monde pacifié

Comment et pourquoi des carnages, des tueries, des guerres civiles et flambées de violence extrême surviennent-ils dans des sociétés globalement pacifiées ? Voilà l’objet d’un nouveau champ de recherche : l’étude des massacres de masse.

Les sociétés contemporaines sont globalement pacifiées : voilà un constat qui, bien que contre-intuitif, ne souffre guère de contestation possible. Tant les indicateurs sont convergents.

Comment s’explique cette pacification généralisée ? Pour le sociologue Norbert Elias (1897-1990), la pacification des mœurs (qu’il nommait « processus de civilisation ») est liée à une intériorisation des pulsions agressives par des normes de conduites plus « civiles » qui se sont imposées en Europe à partir de la Renaissance. Sur le plan psychologique, l’idée d’intériorisation des normes est proche de la théorie freudienne du refoulement. Mais là où Freud voit un phénomène universel (la culture est ce qui inhibe et détourne les pulsions), N. Elias y voit un phénomène historique propre à l’Occident moderne. La pacification des mœurs est le produit de la monopolisation de la violence par l’État moderne. À la fin du Moyen Âge, l’État central a désarmé la société et imposé un État de droit et une justice centrale. L’État met fin aux querelles et luttes privées entre fiefs, interdit les duels et vengeances privées. Et une normalisation des conduites a transformé des gens brutaux (comme l’étaient les chevaliers et les paysans) en citoyens pacifiques.

Pour expliquer le déclin séculaire de la violence, S. Pinker 1 reprend à son compte la théorie de N. Elias et y ajoute d’autres facteurs : la révolution humaniste (des 17e et 18e siècles), la guerre froide entre l’Ouest et l’Est durant la seconde moitié du 20e siècle qui fut en fait une coexistence pacifique, la révolution des droits de l’homme (déclaration des droits de 1948) qui s’est étendue à la défense des minorités ethniques, des homosexuels, des femmes, des enfants et même des animaux. La montée en puissance des femmes et l’essor des valeurs féminines auraient également contribué au phénomène.