Des tambours de la guerre aux hymnes à la paix

En cas de conflit armé, la bataille se joue aussi sur le front musical, qu’il s’agisse de sidérer l’ennemi, de galvaniser les troupes ou d’asseoir sa puissance. Elle sert aussi à retisser des liens entre les communautés.

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Sept décembre 2022. Ouverture de la nouvelle saison à la Scala de Milan en Italie. Sur le parvis, des voix ukrainiennes s’élèvent contre la représentation de l’opéra Boris Godounov, chef-d’œuvre du compositeur russe Modeste Moussorgski. Elles la comparent à un acte de propagande au profit de Vladimir Poutine. Cette dénonciation n’est pas un cas isolé. Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie en février 2022, un troisième front adossé au militaire et à l’économique s’est érigé, notamment en Europe : celui de la culture. Bannissement d’œuvres, annulation de concerts, injonctions faites aux artistes de choisir leur camp. La musique se retrouve au cœur de la guerre, elle-même interprétée en termes acoustiques par Volodymyr Zelensky, qui lors de la cérémonie des Grammy Awards en 2022, a appelé à remplir « le silence des bombes et des gens assassinés » par des chants et des mélodies. Ces exemples récents attestent d’une autonomie toute relative de l’art musical par rapport au politique 1.

Si de nombreux compositeurs défendent leur indépendance à l’égard des pouvoirs en place, à l’instar d’Igor Stravinsky dénonçant, à son époque, le réalisme soviétique qui met la musique au service d’un projet idéologique, cette position relève d’une ligne de crête délicate en temps de guerre. Le chef de l’orchestre du Capitole, Tugan Sokhiev, en a fait l’expérience à ses dépens récemment, lorsque le maire de Toulouse l’a exhorté à prendre parti entre la Russie et l’Ukraine. Considérant que sa trajectoire professionnelle dépasse les appartenances nationales, T. Sokhiev a refusé de prendre une telle décision en démissionnant du Capitole comme de son poste de directeur musical du théâtre du Bolchoï : « On me demande de choisir une tradition culturelle plutôt qu’une autre. (…) On me demandera bientôt de choisir entre Tchaïkovski, Stravinsky, Chostakovitch et Beethoven, Brahms, Debussy », déplore-t-il.