Devenir quelqu'un

L'éducation et la formation doivent permettre à chacun de gagner son autonomie et construire son identité. Pour atteindre ce but, Le rapport au savoir de l'apprenant est déterminant.

«Six ans d'études, c'est pour avoir une vie plus intéressante (...) Déjà dans la tête on est mieux. » « Etre mieux dans sa tête, c'est quoi ? » « Etre content d'avoir réussi dans la vie, avoir un but et l'avoir réussi, c'est ça. » Cet échange entre un lycéen de BEP et l'enquêteur de l'équipe de recherche Education, socialisation et collectivités locales, dirigée par Bernard Charlot, reflète les enjeux de l'éducation et la formation pour la plupart des apprenants : il faut apprendre pour devenir quelqu'un. Le rêve, sans doute, de tout enseignant, de tout formateur, est que ce principe soit une évidence pour tous. Que chaque élève en cursus de formation soit dans une attitude de recherche de sens, de structuration des savoirs mis à sa disposition, afin d'en extraire ce qui lui permettra de construire son projet de vie, et de le réussir.

La réalité est tout autre, on le sait bien. L'échec scolaire en est la preuve la plus évidente. Bernard Charlot et son équipe de recherche refusent de voir l'échec scolaire comme un phénomène social, répondant à une logique sociologique de la reproduction des inégalités. Selon eux, même si la corrélation entre catégorie socioprofessionnelle et résultats scolaires est indéniable, c'est ailleurs qu'il faut en chercher les causes : dans le rapport qu'entretiennent les apprenants au savoir. Ils ont donc interrogé de nombreux élèves des lycées professionnels de banlieue 1.

La plupart de ces jeunes ne considèrent pas l'école comme un lieu de formation à la vie. Ils y voient davantage un « fournisseur de diplômes », qui leur laissera une chance de trouver un emploi et donc de mener une vie normale. Ils ne sont donc pas enfermés dans une vision à court terme, mais ont bien un projet de vie : avoir une vie « normale ». Manque d'ambition ? Loin de là, si l'on écoute Samira : « Je ne veux pas, c'est grave ce que je vais dire, je ne veux pas avoir la même vie que mes parents. Je veux pas, je veux pas vivre dans une cité. Et je ne veux pas que mes enfants vivent dans une cité. (...) Pour ça, il faut que je parte d'ici, et pour partir il faut quand même avoir un certain salaire. » Pour Samira, le défi est triple : il s'agit de sortir de trois types de domination. La première est sociale, symbolisée par la cité ; la deuxième est raciale : elle doit vaincre l'image négative que lui donne son statut d'enfant de migrants. La troisième est sexuée : une fille en situation d'échec encourt le risque de rester dépendante. Mais toute l'ambivalence est là : ce contre quoi Samira doit lutter est aussi ce qui construit son identité. Elle est une beurette de cité, et doit faire avec. Ces jeunes oscillent alors entre reconnaître la force des choses et s'y soumettre, ou se donner les moyens de « devenir quelqu'un ».