Au début du XIXe siècle, les aliénistes décrivent des réactions émotives particulières, classées par Philippe Pinel dans les « névroses de la circulation ou de la respiration », et les chirurgiens de la Grande Armée observent le « syndrome du vent de boulet ». Mais l’idée que les grands événements politiques (révolutions, insurrections) ou militaires puissent multiplier le nombre de patients ou même susciter des pathologies spécifiques ne fait pas l’unanimité, au contraire, jusqu’à la Grande Guerre.
Aliénés par la guerre
Celle-ci bouscule le dispositif de soin dans les armées de tous les belligérants. La « folie » des soldats, on l’a oublié, devient courante en 1914-1918. Seule l’armée américaine publie des statistiques fiables : 69 394 sammies (nom donné aux soldats américains) sont hospitalisés pour troubles mentaux en 1917-1918. 50 000 anciens combattants britanniques perçoivent une pension en 1922 pour cette raison. Quant aux poilus, pendant quatre ans, plusieurs dizaines de milliers sont soignés dans les 28 centres neuropsychiatriques, créés à partir de l’automne 1914 après le désastre sanitaire des premières semaines de combat. La plupart d’entre eux sont guéris et renvoyés au front. Certains sont reconnus aliénés du fait de la guerre, et la loi Lugol de 1919 leur accorde le droit à une pension. 4 000 anciens combattants sont encore traités dans les asiles en 1937.
De quels maux ces hommes sont-ils atteints ? L’ensemble des pathologies peut être observé. La mobilisation comme « le baptême du feu » suscitent des décompensations psychiques des soldats les plus fragiles. De nombreuses réactions sont liées à un choc émotionnel causé par une explosion, un bombardement, la mort d’un camarade, la confrontation directe à l’adversaire, la mort donnée, entraînant une sidération plus ou moins durable. Dans certains cas, cette sidération peut être suivie d’une fuite éperdue : certains soldats de 1914 seront considérés comme déserteurs, avant que les médecins ne décrivent ce comportement comme une réaction normale au choc subi. Les réactions névrotiques, exprimées par une angoisse puissante, peuvent apparaître immédiatement ou de façon différée, lorsque le danger est écarté, réactivant l’effroi ressenti. Dans certains cas, le combattant développe une confusion mentale fondée sur des remémorations, une incapacité à se repérer dans le temps et l’espace, voire une amnésie. Enfin, certaines manifestations sont de nature hystérique, avec la perte d’une fonction essentielle, « sans blessure apparente » : le soldat est alors aveugle, muet, paralysé, ou sujet à des tremblements irrépressibles, ou déformé par des contractions qui ne cèdent pas. Ces affections sont couramment décrites et discutées pendant la Grande Guerre.