Économie solidaire : un état des lieux. Entretien avec Jean-Louis Laville

Dès les années 60, des initiatives visent à fonder une nouvelle économie sur un principe de solidarité. Depuis les années 80, elles font l'objet d'approches comparatives internationales.

Sciences Humaines : Vous étudiez depuis plusieurs années l'économie solidaire. Pouvez-vous en rappeler les principes ?

Jean-Louis Laville : On peut définir par là non pas une alternative mais une troisième composante de l'économie, aux côtés de l'économie de marché et du secteur public. Concrètement, elle recouvre les initiatives visant à démocratiser l'économie à partir d'engagements citoyens. Elles se sont particulièrement développées dans les services sociaux, comme la garde d'enfants et l'aide à domicile ou les services culturels. A ces services où la proximité est privilégiée se sont ajoutés des réseaux comme les finances solidaires, les réseaux d'échange non monétaire et de commerce équitable. Dans ce dernier, par exemple, la vente au Nord des produits du Sud est indissociable pour des fédérations comme Artisans du monde d'une action d'éducation des consommateurs et de revendications politiques, afin que les injustices inhérentes au commerce international dominant puissent être combattues.

On parle également de tiers secteur ou d'économie sociale mais ce n'est pas exactement la même chose. Le tiers secteur est une notion principalement nord-américaine qui renvoie aux formes de solidarité de type philanthropique. L'économie sociale, elle, met l'accent sur le statut juridique en recouvrant les structures différentes des sociétés anonymes (associations, coopératives et mutuelles). Cette approche permet donc de saisir la taille de l'ensemble des organisations productives n'ayant pas pour objet la maximisation du profit. Mais cette vision statique gagne à être complétée par une perspective d'économie solidaire qui met l'accent sur la dynamique politique dont sont porteuses une partie de ces pratiques. Ces initiatives militent pour une économie plurielle, c'est-à-dire une économie dans laquelle plusieurs principes et formes de propriété coexistent et configurent un champ de tension.

L'économie solidaire, comme d'ailleurs l'économie sociale, renvoie donc à des expériences plus anciennes qu'on ne l'imagine, apparues dès la première partie du xixe siècle. Mais l'expression sert aussi à rendre compte d'une nouvelle génération d'initiatives apparues au début des années 70. Ces initiatives sont symptomatiques d'un nouveau questionnement des rapports entre politique et économie : elles revendiquent la solidarité comme principe économique.