Éducation positive, révolution ou illusion ?

Bienveillance, empathie, respect de l’enfant… Tels sont les principes prônés par l’éducation positive. Ce modèle s’impose comme le standard à atteindre. Au risque de culpabiliser les parents.

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C’est la Chandeleur. Toute la famille se met à table pour déguster des crêpes. Ma fille, qui aura bientôt 10 mois, est assise dans sa chaise haute. Elle découvre depuis quelques semaines le plaisir de manger avec les mains. Elle attrape un morceau de crêpe et le porte à sa bouche. « Bravooo », dis-je, enthousiasmée. Mais aussitôt, mon enthousiasme retombe comme un soufflé. Un peu plus tôt cette semaine-là, je lisais un article sur les méfaits des renforcements, comme le fait de dire « bravo » ou « je suis fier de toi » à un enfant. Les auteurs de l’article, fervents défenseurs d’une éducation positive pure souche, y soutenaient que l’enfant doit apprendre qu’il fait les choses pour lui. Dès lors, préconisent-ils aux adultes, surveillez votre langage et veillez à ce que votre progéniture soit heureuse de ce qu’elle fait pour ce que cela lui apporte (motivation intrinsèque) et non l’image que vous aurez d’elle (motivation extrinsèque).

Cette situation peut paraître anecdotique. C’est pourtant tout le paradoxe de l’éducation positive qui s’y révèle. Qui oserait balayer d’un revers de main une vision de l’éducation qui met l’enfant, ses besoins, son rythme, son unicité, au centre de la démarche ? Et pourtant, combien d’entre nous peuvent se targuer de pouvoir appliquer, sans le moindre faux pas, ces principes au pied de la lettre ?

Pour y voir plus clair, commençons par distinguer de quoi on parle. Ce n’est pas si simple, en réalité. Car il est difficile de trouver une définition consensuelle de ce concept d’éducation positive.

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Dans un article paru en 2014 dans la revue Nursing Forum, une équipe de chercheuses américaines a tenté, sur la base d’une revue de la littérature scientifique disponible, de proposer une définition de la parentalité positive qui puisse servir de base aux recherches, à l’élaboration de programmes d’intervention et aux évaluations. Elles aboutissent à la définition suivante (traduite) : la parentalité positive réfère à la relation continue entre un parent et son enfant qui inclut le fait de prendre soin, d’orienter, de communiquer et de pourvoir aux besoins de l’enfant de façon consistante et inconditionnelle. Cette définition, impeccablement construite sur un plan méthodologique, peut pourtant laisser sceptique : n’est-ce pas le rôle de n’importe quel parent, indépendamment des « méthodes » ou valeurs qui imprègnent sa vision de la parentalité, qui y est décrit ? D’ailleurs, étymologiquement parlant, l’éducation positive peut sembler être une redondance.

Une vision curative ou thérapeutique

Catherine Gueguen, pédiatre spécialisée en parentalité et auteure d’ouvrages dans le champ de l’éducation positive 1, rappelle de son côté que l’éducation parentale a longtemps fonctionné sur le mode de la répression : « L’éducation positive est une révolution ! », affirme-t-elle. « Celle-ci rejette l’ensemble des violences éducatives et intègre les principes de psychologie humaniste et positive, dont l’importance de l’empathie dans la relation. Depuis des millénaires, nous pensons qu’éduquer un enfant, c’est le brimer, canaliser son comportement par l’humiliation verbale ou physique. Les adultes le font en croyant bien faire. Pourtant, les études sont là ! Les neurosciences affectives et sociales montrent l’impact délétère des humiliations en tout genre sur le cerveau de l’enfant. Mais c’était jusqu’ici la seule option, et c’est pour cela qu’il y a de fortes résistances au changement. »

Lorsqu’on se penche sur la littérature autour de la parentalité positive, ce qui dénote, en premier lieu, c’est qu’elle prend rarement appui sur des situations parentales ou familiales « sans histoire ». Qu’il s’agisse de graves abus, de négligences physiques et émotionnelles ou de violences, les situations abordées par les chercheurs, problématiques par essence, impliquent une vision « curative » ou en tout cas « thérapeutique » de la parentalité : l’éducation positive s’est ainsi d’abord construite comme une « éducation à la parentalité », par laquelle on apprend à l’adulte à mieux gérer ses propres émotions, à respecter les rythmes, les besoins et l’intégrité de l’enfant. Elle vise en premier lieu des familles en situation de déprivation et de grande précarité, qui nécessitent des moyens d’intervention ciblés.

Trop laxiste ?

Aujourd’hui, portée par des succès éditoriaux et médiatiques, l’éducation positive s’est émancipée de ce cadre. Elle s’adresse désormais à toutes les familles, quels que soient leur histoire et leurs choix éducatifs. Pour « le parent lambda », elle est parfois ressentie comme un modèle normatif qui s’immisce dans le foyer. Il faut dire que son discours a tout pour interpeller. Quel parent ne rêve pas d’obtenir sans punir ou sans être obligé de se fâcher, tout en favorisant l’autonomie de ses chers petits ?